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S’adapter à +2 °C ou +4 °C ? Scénarios, projections et politiques d’adaptation

Loïc Giaccone – 1er mars 2023

Lors d’une conférence sur l’adaptation des territoires organisée le 30 janvier 2023 par France Stratégie et l’Institut de l’Économie pour le Climat (I4CE), le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, a annoncé souhaiter étudier deux scénarios de réchauffement pour la stratégie d’adaptation de la France : +2 °C et +4 °C. La signification de ces deux chiffres – périmètre, échéance, etc. – n’était pas tout-à-fait claire au moment de l’annonce, ce qui a provoqué de nombreuses réactions, plus ou moins pertinentes.

Le ministre a confirmé et détaillé la direction prise le 23 février dernier, avec l’installation d’un « comité de pilotage ministériel sur l’adaptation au changement climatique » dont les travaux permettront l’élaboration du troisième plan national d’adaptation au changement climatique. Le comité étudiera différents scénarios de réchauffement, potentiellement à +2 °C et +4 °C, chiffres correspondants au réchauffement à l’échelle de la France. 

Cette annonce marque une évolution intéressante dans la stratégie française d’adaptation au changement climatique. Il est cependant difficile de s’y retrouver entre les différents scénarios, les différentes échelles (temporelle et géographique) et les projections de températures correspondantes, qui déterminent la sévérité des impacts climatiques. C’est que nous allons détailler dans cet article, avant de proposer une interprétation de cette annonce et de rappeler les enjeux actuels et futurs de l’adaptation au changement climatique en France. Il s’agit d’une période cruciale, le gouvernement étant en train de préparer la Stratégie française sur l’énergie et le climat (SFEC), qui comprend les nouvelles versions de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC3) du Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC3). 

Sommaire :

1. Réchauffement mondial : observations, seuils et projections

2. Réchauffement continental, régional et national

3. Projections de réchauffement en France

4. L’adaptation au changement climatique

5. Politiques d’adaptation au changement climatique en France

6. 2023, et après ? La Stratégie française sur l’énergie et le climat (SFEC)

7. Conclusion

1. Réchauffement mondial : observations, seuils et projections

Avant de nous concentrer sur le cas de la France, il est nécessaire de bien avoir en tête ce qu’il se passe au niveau mondial : ce sont les émissions de l’ensemble des pays qui influencent le climat à l’échelle globale, et les impacts dus au changement climatique pour une région donnée dépendent de l’évolution de la température estimée au niveau mondial.

L’évaluation du groupe I du GIEC publiée en 2021 indiquait une élévation de la température globale de surface de +1,09 °C [0,95-1,20] pour la période 2011-2020 par rapport à la période 1850-1900 (WGI SPM, A.1.2). La figure 12 du chapitre 1 présente l’élévation de cette température pour différentes périodes, à partir de quatre ensembles de données, le tout par rapport à 1850-1900 : 


En météorologie et en climatologie, l’utilisation de périodes de référence permet d’étudier l’évolution du climat pour une région et un moment donnés, par exemple afin d’évaluer comment la température moyenne d’une nouvelle année se place par rapport à la période précédente, pour laquelle nous avons des observations. La période de référence doit être suffisamment longue, généralement 30 ans, pour éviter d’être trop influencée par la variabilité naturelle du climat. Cette dernière est responsable des variations interannuelles sur la figure ci-dessus. La valeur de la période 1986-2005 correspond aussi à celle de la période 1981-2010, précédemment utilisée comme référence par les organismes de météorologie. Le changement climatique bouleverse cela, obligeant à mettre à jour la période de référence : en 2022, Météo France, conformément aux règles de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), a recalculé ce qu’on appelle un peu abusivement les « normales » pour la période 1991-2020.

Il est difficile d’estimer précisément le niveau de réchauffement global à un moment donné, car cela nécessite de faire une moyenne sur plusieurs années pour éviter l’influence de la variabilité naturelle du climat (en particulier des événements El Niño/La Niña), et le rythme de réchauffement est si rapide que cette moyenne sera toujours légèrement en-dessous du niveau des années les plus récentes, comme on peut le voir sur la figure précédente avec une moyenne 2011-2020 à +1,09 °C et une année 2020 estimée à +1,26 °C. L’année 2022 serait entre +1,1 °C et +1,3 °C, selon les données observées et par rapport à la période 1880-1899, ce qui en ferait la cinquième ou sixième année la plus chaude depuis le début des relevés, avec de nombreuses conséquences catastrophiques (Carbon Brief). 

En signant l’accord de Paris, les pays entendent maintenir le réchauffement « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » et poursuivre l’action menée « pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C ». Les niveaux préindustriels sont sujets à interprétation, mais le GIEC retient la période 1850-1900 depuis le Rapport Spécial 1.5 et dans l’AR6. Les débats et discussions ont été nombreux suite à la signature de l’accord quant à l’interprétation de ce que l’on appelle l’objectif de température de long terme : que signifie « nettement en dessous de 2 °C » ? Est-ce que l’on peut temporairement dépasser +1,5 °C et y revenir ensuite (trajectoires controversées dites « de dépassement », en raison de l’utilisation à grande échelle d’émissions négatives) ? Etc. Une chose est à peu près reconnue : les seuils de +1,5 °C et +2 °C correspondent à l’influence anthropique sur le climat global, excluant la variabilité naturelle du climat. Il s’agit donc d’une moyenne planétaire calculée sur plusieurs années. Ainsi, dans un monde stabilisé à +1,5 °C, une année sur deux serait au-dessus de +1,5 °C. Également, l’OMM indiquait en 2022 qu’il y a une chance sur deux qu’une année dépasse +1,5°C au cours des cinq prochaines années, ce qui fera fort probablement les gros titres. Cela ne signifie pas que le seuil de +1,5 °C de l’accord de Paris, qui doit être calculé comme moyenne de plusieurs années, sera dépassé. Cependant, ce sera une autre preuve que l’on s’en rapproche de plus en plus. Cette figure du deuxième rapport du projet Constrain (2020) décrit ces subtilités : 


Il ne s’agit pas d’une projection précise mais d’une explication de la signification de l’objectif de long terme de +1,5 °C, qui est donc calculé à partir de l’ère préindustrielle et en moyenne sur plusieurs années (ici 30 ans, ligne rouge). Le « spaghetti » de courbes jaunes représente les températures annuelles de plusieurs simulations, montrant que le seuil de +1,5 °C sera dépassé occasionnellement, puis de plus en plus, avant qu’il ne soit atteint en moyenne, c’est-à-dire une année sur deux, puis éventuellement dépassé. Cette illustration utilisait cependant un ancien ensemble de données d’observation et un seul modèle climatique. Les estimations les plus récentes, telles que celles du groupe I du GIEC, indiquent que le seuil de +1,5 °C risque d’être atteint plus tôt, au début des années 2030. 

Les groupes I et II du GIEC utilisent un ensemble de scénarios et des niveaux de réchauffement global afin d’étudier l’évolution possible du climat et les impacts associés. Les projections de températures sont ici à gauche, par rapport à la période 1850-1900, et à droite les risques associés pour les cinq « motifs de préoccupation » évalués par le groupe II, en fonction du niveau de réchauffement (WGII, SPM.3) : 


Les moyennes des projections des scénarios SSP1-1.9 et SSP1-2.6 sont en dessous des seuils de, respectivement, +1,5 °C et +2 °C en 2100. Les incertitudes quant à la réaction du climat, représentées par les plages de couleur pour les scénarios SSP1-2.6 et SSP3-7.0 (fourchette « très probable »), sont cependant importantes. Elles sont données pour l’ensemble des scénarios et pour différentes échéances dans le tableau RID.1 du résumé du groupe I


Dans ces scénarios, le seuil de +1,5 °C est, dans tous les cas, atteint en valeur moyenne. Pour le SSP1-1.9, scénario de réduction forte des émissions, la moyenne des projections repasserait en dessous de +1,5 °C à la fin du siècle, grâce au recours à des émissions négatives. Il est important de garder à l’esprit ces fourchettes d’incertitude, nous y reviendrons. Le réchauffement futur est ainsi lié à deux sources d’incertitude : le scénario d’émissions qui sera effectivement suivi, et la réaction du climat à ces émissions. Afin de fournir des informations sur les conséquences du changement climatique, le GIEC a aussi présenté dans l’AR6 les changements physiques et les impacts associés pour différents niveaux de réchauffement global de +1,5 °C, +2 °C, +3 °C et +4 °C (Global Warming Levels, GWLs, WG1 Box TS.1). Lorsque des impacts du changement climatique sont évalués ou quantifiés, et notamment à l’échelle régionale, c’est par rapport à un niveau de réchauffement global, ou un scénario d’émissions et un horizon temporel précis. De plus, comme l’a bien montré le rapport spécial 1.5, chaque dixième de degré supplémentaire augmente, souvent de manière non-linéaire, les impacts climatiques

Les scénarios présentés précédemment sont « exploratoires », c’est-à-dire qu’ils servent à envisager les différents futurs climatiques et sociétaux possibles, et les conséquences associées pour les écosystèmes et les populations. D’autres ensembles de scénarios existent, notamment les centaines de scénarios « normatifs » évalués par le groupe III du GIEC, qui permettent de comparer différentes trajectoires d’atténuation en vue d’un objectif climatique donné. Il y a également des scénarios « tendanciels », établis à partir des projections d’émissions de gaz à effet de serre correspondant aux politiques climatiques en vigueur à un moment donné ou aux engagements des pays dans le cadre de l’accord de Paris (Nationally Determined Contributions, NDCs). Ils permettent d’étudier l’évolution de la gouvernance climatique. Dans son rapport de 2022, le groupe III du GIEC indiquait que, sans renforcement des politiques en place en 2020, le réchauffement pourrait atteindre +3,2 °C [2,2-3,5] en 2100 (WGIII SPM C.1). Les engagements des pays à échéance 2030 (ne prenant pas en compte les objectifs de long terme de type neutralité carbone), déclarés avant la COP26 de novembre 2021, étaient estimés à +2,8 °C [2,1-3,4]. 

La situation a légèrement évolué depuis, avec de nouveaux engagements pris ou rehaussés, et des politiques climatiques mises en place dans de nombreux pays, telles que l’Inflation Reduction Act aux États-Unis. Les analyses les plus récentes, fin 2022, estiment le réchauffement induit par les politiques climatiques actuelles à environ +2,8 °C [1,9-3,3] (UNEP, chiffre relativement proche pour le Climate Action Tracker, voir aussi le NDC Synthesis Report de l’UNFCCC, le scénario STEPS de l’AIE, ou encore la synthèse de Meinshausen et al., 2022). Cette trajectoire d’émissions et le réchauffement associé sont relativement proches du scénario SSP2-4.5 (+2,7 °C en moyenne), ce qui explique qu’il soit souvent utilisé pour représenter la trajectoire actuelle des émissions, sans efforts d’atténuation supplémentaires. Ces différentes analyses et projections des trajectoires actuelles montrent une évolution des politiques implémentées, abaissant légèrement l’élévation de température projetée, et une évolution des engagements, à la fois de court terme (NDCs pour 2030, autour de +2,4 °C) et de long terme (autour de +2 °C). Cependant, il reste énormément d’efforts pour continuer d’infléchir la courbe des émissions et s’assurer que les engagements soient tenus. De plus, les incertitudes sur les émissions associées aux politiques et engagements et sur la réponse climatique restent élevées. 

Pour récapituler, au niveau global et par rapport à la période préindustrielle, le réchauffement est actuellement d’environ +1,1/1,2 °C. Le seuil de +1,5 °C devrait être atteint au début des années 2030. La suite dépendra des efforts d’atténuation actuels et futurs. Les projections correspondant aux politiques climatiques actuelles, si elles sont efficaces, mènent à un réchauffement d’environ +2,5/2,8 °C. Les engagements de court terme à environ +2,4/2,6 °C, et l’ensemble des engagements et promesses des Etats, s’ils sont tenus et respectés, pourraient permettre de limiter le réchauffement à environ +2 °C. Il ne faut pas oublier que, pour chacun de ces chiffres, correspond une plage d’incertitude significative due à la fois à la modélisation des émissions et à la réponse du climat. 

2. Réchauffement continental, régional et national

Dans la section précédente, les chiffres de réchauffement mentionnés – observations, objectifs, projections, seuils – correspondent tous à la température de surface moyenne globale, par rapport à la température préindustrielle. C’est à partir de cet indicateur que sont décrit les nombreux impacts, globaux et régionaux, du changement climatique. 

Cependant, le réchauffement n’est pas uniforme, loin de là : il est plus fort sur les terres émergées que sur les océans, et plus fort dans certaines régions que d’autres (par exemple, dans l’Arctique). La différence entre la moyenne des continents et la moyenne des océans est significative, comme on peut le voir dans la figure 11 du chapitre 2 (AR6, WG1) : 


Ainsi, pour une élévation de température globale de +1,09 °C au cours de la décennie 2011-2020 par rapport à la période 1850-1900, les continents sont déjà à +1,59 °C, et les océans à +0,88 °C. Pour plus de détails sur les différences de réchauffement entre les régions, nous vous renvoyons à la figure 9 du chapitre 3. La figure ci-dessous montre la différence entre le réchauffement global (à gauche) et le réchauffement des terres émergées en Europe, pour différents ensembles de données d’observation, par rapport à la période 1850-1900 (European Environment Agency) :  


Publié en novembre 2022, le rapport sur l’état du climat en Europe indique qu’il s’agit de la région ayant le réchauffement le plus élevé des six régions étudiées par l’OMM, de plus du double de la moyenne mondiale au cours des 30 dernières années. Le rapport explique qu’il n’est pas possible d’indiquer un niveau de réchauffement précis par rapport à l’ère préindustrielle, par manque de données régionales robustes avant 1900. L’année 2021, se classant entre la sixième et la dixième année la plus chaude en Europe depuis le début des relevés, est comparée aux périodes 1981-2010 (+0,90 °C) et 1961-1990 (+1,44 °C).

D’après Météo France, le réchauffement à l’échelle de la France métropolitaine était de +1,7 °C en 2020 par rapport à 1900, avec une accélération depuis les années 1980, plus marquée au printemps et en été. Une étude publiée à l’automne 2022, Ribes et al., confirme et affine ce chiffre : le réchauffement en France en 2020 est estimé à +1,66 °C (1,41-1,90) par rapport à 1900-1930. Le rythme de réchauffement actuel est estimé à +0,36 °C (0,27-0,45) par décennie, soit +0,1 °C tous les trois ans. De manière logique, la dernière estimation donnait une France à +1,8 °C en 2023 par rapport à 1900-1930. 

3. Projections de réchauffement en France

Les projections climatiques à l’échelle de la France métropolitaine sont coordonnées par Météo France, à l’aide de différentes techniques de modélisation dites de « descente d’échelle ». Depuis 2012, le portail DRIAS permet d’y avoir accès. Ces projections ont été mises à jour en 2020. Elles utilisent les résultats de la génération précédente de modèles (CMIP5) car ceux des nouveaux (CMIP6, utilisés dans le dernier rapport du GIEC) n’étaient pas encore tous disponibles à l’époque. Voici l’évolution des températures annuelles, pour trois scénarios d’émissions : 


Vous noterez que ces résultats sont relatifs à la référence 1976-2005, elle-même estimée dans le rapport à +0,8 °C par rapport à la période 1901-1930. Ainsi, en RCP4.5 (scénario « intermédiaire » correspondant aux politiques actuelles, en jaune, même forçage radiatif en 2100 que le SSP2-4.5), le réchauffement moyen en France pendant les trois dernières décennies du siècle serait d’environ +2,1 °C (1,6-2,7) par rapport à 1976-2005, et +2,9 °C (2,4-3,5) par rapport à 1901-1930. 

Cependant, il est intéressant de voir ce que donnent les résultats de la dernière génération de modèles (CMIP6), censée mieux représenter un certain nombre de composantes du système climatique par rapport à leurs prédécesseurs, avec une résolution plus élevée. Le travail de Ribes et al. (2022), mentionné précédemment, permet d’en avoir une idée : l’équipe de chercheurs a utilisé les résultats de ces modèles et leur a appliqué une méthode de « contrainte » établie à partir des observations afin de projeter le réchauffement futur en France. Voici le résultat, pour le scénario « intermédiaire » SSP2-4.5, par rapport à la période 1900-1930 : 

Les points noirs représentent les observations, la courbe et l’enveloppe roses, les simulations du CMIP6 sans contrainte, et la courbe et l’enveloppe rouges, les simulations après contrainte. Deux choses importantes sont à noter : tout d’abord, les simulations du CMIP6 montrent un réchauffement légèrement plus élevé que la génération précédente de modèles (10% environ, voir aussi la FAQ 7.3) ; et les simulations contraintes, censées être plus robustes, montrent bien un plage d’incertitude réduite mais aussi une moyenne plus élevée pour le cas de la France. Dans le scénario SSP2-4.5, la meilleure estimation est à +3,8 °C en 2100 par rapport à 1900-1930, avec une enveloppe allant de +2,9 à +4,8 °C. Nous avons vu précédemment que ce scénario correspond à un réchauffement global de +2,7 °C (2,1-3,5, WGI SPM).

Les projections du portail DRIAS seront probablement mises à jour prochainement avec les résultats du CMIP6, ce qui devrait permettre d’obtenir des projections régionalisées plus précises. La méthode de contrainte des résultats développée par Ribes et al. (2022) sera peut-être également utilisée. 

Il est important de retenir que les chiffres de réchauffement à une échelle régionale, voire locale, ne sont pas comparables avec les chiffres de réchauffement au niveau global. Il faut toujours vérifier le périmètre géographique étudié, et la période de référence utilisée. L’outil ClimatHD de Météo France permet d’en prendre conscience en explorant les données de températures de nombreuses villes et des régions de France. 

4. L’adaptation au changement climatique

Les politiques climatiques se divisent en deux grandes catégories, complémentaires, dont le but est de limiter le risque climatique : l’atténuation des émissions, qui limite l’ampleur des aléas climatiques futurs, et l’adaptation, qui réduit l’exposition et la vulnérabilité des personnes, infrastructures ou écosystèmes aux impacts du changement climatique. Ces notions sont représentées dans la figure ci-dessous, du rapport de 2014 du groupe II du GIEC :


L’adaptation est moins connue que l’atténuation, et souffre d’une idée reçue remontant aux années 90/2000 : parler d’adaptation, ce serait abandonner la lutte pour l’atténuation. Or, les deux sont bel et bien nécessaires, et conjointement, car il y a déjà des impacts climatiques qui touchent fortement les populations et la biodiversité. Le climatologue italien Filippo Giorgi résumait cette complémentarité avec la formule « gérer l’inévitable, éviter l’ingérable » : même dans un monde qui réussirait à respecter l’objectif de l’accord de Paris, il y aurait énormément d’adaptation à développer pour limiter les impacts du « nouveau » climat.  

Concrètement, « faire » de l’adaptation au changement climatique, c’est mettre en place des mesures qui vont limiter les conséquences des impacts du changement climatique : c’est très vaste, puisque cela concerne l’ensemble des milieux, populations et secteurs d’activités. Comme ces impacts sont spécifiques au climat de chaque région (il n’y a pas les mêmes impacts en montagne et sur le littoral, dans l’Arctique et au Sahara), l’adaptation se met en place concrètement plutôt au niveau local, après avoir étudié à la fois l’évolution possible du climat de la zone étudiée, et les caractéristiques des populations et/ou secteurs que l’on souhaite protéger. Le climat s’étant déjà réchauffé et les impacts étant déjà bien prégnants, de nombreuses initiatives sont d’ores et déjà mises en place en France et dans le monde.

Il y a un lien avec ce que l’on a vu dans les parties précédentes : pour mettre en place des mesures d’adaptation, en particulier en ce qui concerne des infrastructures à longue durée de vie, il faut pouvoir anticiper l’évolution future du climat dans la région concernée. Cela se fait à partir des projections globales : il faut d’abord définir quel scénario (et échéance associée) ou quel niveau de réchauffement on vise, afin d’obtenir ensuite des projections climatiques régionalisées. Cela permet alors de prévoir, dimensionner les mesures d’adaptation que l’on va mettre en place. Que ce soit dans le bâtiment, les transports, l’agriculture ou sur la gestion du littoral, mettre en place des mesures d’adaptation pour un réchauffement global de +1,5 °C ou +3 °C ne signifie pas du tout la même chose. Et le sous-dimensionnement induit un risque de maladaptation, lorsqu’une mesure d’adaptation, insuffisante ou mal conçue, finit par augmenter le risque au lieu de le diminuer.

Bien sûr, il est tout-à-fait possible (voire, absolument nécessaire, nous y reviendrons) de préparer des mesures d’adaptation pour un niveau de réchauffement plus élevé que celui que l’on vise avec les politiques d’atténuation. Même si un pays réduit ses émissions dans une trajectoire qui respecte l’objectif de +1,5 °C, il est reste possible que les autres pays n’arrivent pas à faire de même et que le réchauffement dépasse ce seuil. Il est également possible que la sensibilité climatique soit dans la partie élevée de la fourchette d’incertitude, ce qui aurait la même conséquence. La combinaison des deux est une troisième possibilité, qui augmente encore le réchauffement effectif.  

Enfin, il est important de noter deux choses concernant l’adaptation au changement climatique. Tout d’abord, même les mesures d’adaptation les plus efficaces, mises en place à temps, n’empêchent pas l’ensemble des pertes et dommages dûs au changement climatique d’advenir. Et il y a des « limites » à l’adaptation, au-delà desquelles il n’est plus possible de s’adapter. On parle de limites « douces » si elles sont surmontables (financement, gouvernance, etc.), et de limites « dures » si il n’est plus possible de s’adapter.

5. Politiques d’adaptation au changement climatique en France

En France, l’Observatoire national des effets du réchauffement climatique (ONERC), créé en 2001 et rattaché depuis 2008 à la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) au sein du Ministère de la Transition Écologique, a pour missions de collecter et diffuser les connaissances sur les risques climatiques, formuler des recommandations pour l’adaptation et assurer la liaison avec le GIEC. 

L’ONERC a préparé une stratégie nationale d’adaptation au changement climatique, adoptée en 2006, puis coordonné la préparation et le suivi du premier Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC1), qui couvrait la période 2011-2015. Il était composé de « 84 actions déclinées en 230 mesures ». Le second Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC2) couvre la période 2018-2022. Il est composé de six domaines d’action, « Gouvernance », « Prévention & résilience », « Nature & milieux », « Filières économiques », « Connaissance & information » et « International ». Ils se déclinent en 29 thèmes, 58 actions et 389 sous-actions opérationnelles, avec une centaine d’indicateurs de suivi (voir l’évaluation de mi-parcours). 

Le cycle de la politique française d’adaptation au changement climatique (source)

Le PNACC2 a comme objectif l’adaptation de la France métropolitaine et de l’outre-mer « d’ici 2050 » à une hausse de la température globale de +2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, « même si la France agit sur le plan national et international pour limiter cette hausse à 1,5°C ». La stratégie d’adaptation est décrite comme le « complément essentiel » de la politique d’atténuation visant la neutralité carbone en France à l’horizon 2050 (SNBC2). Le plan met en avant l’importance des Solutions d’adaptation fondées sur la nature (SafN).  

Comme nous venons de le voir, la France ne part pas de zéro sur l’adaptation au changement climatique, loin de là. Cependant, face à l’ampleur des impacts climatiques actuels et futurs, les politiques et mesures actuelles ne sont pas suffisantes. En 2019, les sénateurs Ronan Dantec et Jean-Yves Roux ont publié un rapport sur l’adaptation de la France à l’horizon 2050. Le titre est sans équivoque : « urgence déclarée ». Les sénateurs soulignent les « fondements réglementaires et scientifiques » apportés par les premières politiques d’adaptation. Cependant, ils déplorent « qu’au-delà de l’État, du monde scientifique et de quelques collectivités territoriales ou acteurs économiques pionniers, la mobilisation sur les enjeux d’adaptation à l’échelle des acteurs de terrain et des filières économiques reste insuffisante ». Ils demandent le renforcement de l’accompagnement des collectivités par l’Etat et la déclinaison des politiques d’adaptation à l’échelon territorial. Ils identifient quatre « chantiers d’adaptation complexes et sensibles » : les territoires vulnérables (ultramarins, littoraux, montagnes), le bâtiment, l’eau et l’agriculture.  

Le troisième rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat, publié en 2021, a consacré un chapitre complet à la question de l’adaptation. Les actions du PNACC2 sont décrites comme « disparates », et insuffisamment ambitieuses. Les auteurs du rapport indiquent que l’adaptation au niveau local est inégale, et que chaque échelon territorial a un rôle à jouer. Ils plaident pour la mise en place d’une « stratégie nationale d’adaptation au changement climatique […] élaborée, dotée d’objectifs quantifiés et de délais précis » qui soit cohérente avec la stratégie d’atténuation (SNBC). Parmi les recommandations, l’Etat est enjoint à soutenir et accompagner les collectivités territoriales, faire évoluer les politiques d’adaptation en fonction de l’évolution climatique et sociétale, et intégrer les impacts climatiques aux politiques publiques existantes, notamment en ce qui concerne les risques et la gestion de crise.  

6. 2023, et après ? La Stratégie française sur l’énergie et le climat (SFEC)

La période couverte par le PNACC2 terminait en 2022. Le gouvernement prépare en ce moment son successeur, qui fera partie de la nouvelle Stratégie française sur l’énergie et le climat (SFEC). Celle-ci comprendra :
– La première Loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC), 
– La troisième Stratégie nationale bas-carbone (SNBC3),
– Le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC3),
– La troisième Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3, qui devrait couvrir la période 2024-2033).

La LPEC devrait être adoptée cette année, tandis que la SNBC3, le PNACC3 et la PPE3 sont prévus pour 2024. La LPEC devrait être revue tous les cinq ans ensuite, soit 2028, et les quatrièmes éditions de la SNBC et de la PPE devraient être revues l’année suivante. 

C’est dans ce contexte d’élaboration du nouveau PNACC que se situe l’annonce du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu. Fin janvier, lors de la conférence organisée par France Stratégie et I4CE, il mentionnait deux scénarios de référence à +2 °C et +4 °C, sans que soit précisé le périmètre (France ou monde ?). Le 23 février 2023, le ministre a annoncé mettre en place un Comité de pilotage ministériel sur l’adaptation au changement climatique, chargé de travailler sur des « scénarios de référence » afin d’établir la future stratégie d’adaptation de la France. Ces scénarios sont « pour la France, basé sur ceux du Giec, et y compris des scénarios plus pessimistes que ce que prévoit l’Accord de Paris ». Le communiqué de presse ne mentionne pas de niveau de température. 

Cependant, le ministre a repris dans plusieurs médias le chiffre +4 °C comme cible d’adaptation, en explicitant que cela concerne le réchauffement en France : « Les experts du GIEC nous disent qu’on va aller vers +2,8 °C, +3,2 °C à l’échelle mondiale. Ça veut dire au moins +4 °C en France » expliquait-il sur Franceinfo. Cela correspond bien aux chiffres moyens mentionnés par le groupe III pour le réchauffement global des trajectoires des engagements des pays en 2021 (NDCs pré-COP26, +2,8 °C) et des politiques en place en 2020 (+3,2 °C) que nous avons vus dans la partie 1. Le chiffre de +4 °C à l’échelle de la France est cohérent avec l’étude de Ribes et al. (2022), qui indiquait un réchauffement moyen de +3,8 °C en France pour le scénario SSP2-4.5 (qui équivaut à +2,7 °C au niveau mondial).    

Alors, que penser de cette annonce ? Tout d’abord, il convient de rappeler qu’il est absolument nécessaire d’anticiper l’adaptation au changement climatique car les impacts sont d’ores et déjà présents, ils vont s’accentuer, et une grande part des mesures adaptatives sont à penser sur le long terme (infrastructures, agriculture, sylviculture, etc.). Opposer adaptation et atténuation n’a pas de sens, et ce n’est pas parce qu’on prépare l’adaptation à un niveau élevé de température qu’on ne peut pas, dans le même temps, mettre en place un atténuation forte des émissions. Le HCC le rappelait clairement dans son troisième rapport annuel : « Atténuation et adaptation sont toutes deux indispensables et complémentaires ». 

Ensuite, quand bien même un pays atténue ses émissions en suivant une trajectoire de type +1,5 °C, les impacts climatiques qu’il subit dépendent du climat global, et donc des émissions de l’ensemble des pays. Pour cette raison, il est normal, voire important, d’avoir des objectifs d’adaptation distincts des objectifs d’atténuation. Le PNACC1 présentait d’ailleurs des projections climatiques pour la France reposant sur d’anciens scénarios, les SRES : le scénario dit « pessimiste » A2 (+3,4 °C au niveau mondial en 2090-2099 par rapport à 1980-1999), et le scénario dit « optimiste » B2 (+2,4 °C, pour les mêmes périodes de référence… AR4 WG1 SPM). Le PNACC2, lui, visait une adaptation à +2 °C, et par rapport à l’ère préindustrielle… Ce qui semble relativement optimiste, pour le coup. Envisager un réchauffement plus élevé que les seuils de l’accord de Paris est absolument nécessaire pour adapter le pays. Non seulement le maintien du réchauffement « nettement en dessous de 2 °C » est loin d’être garanti, mais il y a aussi des incertitudes élevées quant à la réaction du climat : sensibilité climatique qui peut être plus élevée, événements à faible probabilité mais fort impact tels que les points de bascule.  

In fine, l’annonce de l’étude de scénarios à +4 °C à l’échelle de la France est cohérente avec l’évolution climatique possible. Il est même plutôt positif que le gouvernement semble prendre la mesure de l’urgence pour l’adaptation du pays, ce qui explique les nombreuses réactions d’experts compilées par Clément Jeanneau. On peut déplorer le flou et la confusion qui ont régné autour des annonces du ministre, comme l’a justement relevé le climatologue Christophe Cassou pour Le Monde. Sur Twitter, il explique que l’on manque pour l’instant de précisions pour conclure quelque chose concernant le chiffre de +4 °C. Le chercheur spécialisé dans l’adaptation Vivian Dépoues félicite une approche prospectiviste « pragmatique », tout en prévenant de ne pas oublier les incertitudes élevées inhérentes au problème climatique.

Lors de la conférence de presse du 23 février, le ministre a rendu public le rapport de l’Inspection générale de l’Environnement et du Développement durable (IGEDD), un parangonnage (benchmark) des politiques d’adaptation d’une poignée d’autres pays, essentiellement des pays développés. Le rapport présente les scénarios utilisés dans les études de risques de ces pays : 


En comparaison de ces pays, la France fait figure d’exception jusqu’à maintenant : tous étudient les risques pour au moins un scénario de réchauffement élevé, généralement le RCP8.5 (qui représente un réchauffement de plus +4 °C au niveau global), et le RCP6.0 au Royaume-Uni. Le rapport explique : « il s’agit d’étudier les risques et il existe un risque suffisamment significatif que le scénario pessimiste RCP 8.5 se réalise pour qu’il soit pris en compte, notamment lors de décisions produisant des effets sur le long terme (infrastructures, forêt) ». Dans le rapport du groupe III, le GIEC estimait que ce type de scénario était devenu « moins probable depuis l’AR5, mais ne peut être exclu » (Box 3.3). 

Sur la question de la référence climatique, le rapport recommande de fixer dans la loi une hausse de température donnée, exprimée au niveau mondial et déclinée à partir des projections du GIEC. Elle serait utilisée comme référence pour le futur PNACC et les plans d’urbanisme et d’aménagement territorial. Les auteurs justifient cela par le rapprochement avec l’accord de Paris, la perception du public et le fait que ces valeurs au niveau mondial sont plus robustes qu’au niveau local. Les rapporteurs indiquent que deux références peuvent être utilisées. Leur choix semble différent de ce qu’a présenté le ministre : 

« Les hausses de température servant de référence pourront être définies à partir de deux scénarios, le scénario intermédiaire SSP 2-4.5 et un scénario plus pessimiste. Le choix du scénario SSP 2-4.5, correspondant à une hausse de la température mondiale de 2°C au milieu du siècle et de 2,7°C en fin de siècle, est à rapprocher du réchauffement résultant des engagements des Etats (2,8°C en fin de siècle). Le scénario plus pessimiste sera pris en compte pour les investissements de long terme. » 

Si vous avez bien suivi jusqu’ici, le scénario « pessimiste » mentionné par le ministre à +4 °C en France correspond au SSP2-4.5, à +2,7 °C au niveau global. Dans cette proposition, cela correspondrait au scénario « intermédiaire » qui servirait de référence principale pour les mesures d’adaptation, et un autre scénario de réchauffement, plus élevé, utilisé pour les questions de long terme. Cela se rapproche de ce qui se fait au Québec, en Autriche et en Espagne. 

7. Conclusion 

Il est clair, d’après les travaux des sénateurs Ronan Dantec et Jean-Yves Roux, le rapport du Haut Conseil pour le Climat et le récent rapport de l’IGEDD que la France est loin d’être prête pour faire face aux impacts climatiques à venir et ce, même dans le cas d’un réchauffement limité à +2 °C à l’échelle mondiale. Avec l’élaboration du troisième Plan national d’adaptation au changement climatique, c’est l’occasion pour le gouvernement de mettre en place une stratégie cohérente et ambitieuse. Les rapports cités précédemment apportent les éléments et recommandations nécessaires. 

L’annonce du ministre Christophe Béchu est un signe positif, montrant que le gouvernement a conscience de la situation et des enjeux. Un certain nombre de points sont à surveiller : le scénario de +4 °C en France reste un scénario d’émissions « intermédiaire ». De plus, pour un scénario donné, les incertitudes sont élevées : dans le scénario SSP2-4.5, l’étude de Ribes et al. (2022) donne un réchauffement moyen de +3,8 °C à l’échelle de la France, avec une enveloppe d’incertitude qui va de +2,9 °C à +4,9 °C… D’après ces résultats, le scénario SSP5-8.5 (+4,4 °C en moyenne au niveau mondial) donne pour la France une moyenne de +6.7 °C (de +5.2 à +8.2 °C). Raisonner directement en termes de niveaux de réchauffement global (+1,5 °C, +2 °C, +3 °C, +4 °C), la nouvelle approche présentée dans le dernier rapport du GIEC, peut éventuellement aider à gérer l’incertitude des scénarios. 

Enfin, l’adaptation reste un sujet complexe et encore trop peu connu et compris, alors qu’il concerne tous les secteurs et la plupart des échelons territoriaux. Les enjeux sont grands pour que les politiques d’adaptation infusent dans les nombreuses politiques publiques, au niveau national, régional et local. D’après Le Monde, les scénarios étudiés devraient être mis en consultation ce printemps, et le PNACC3 sera élaboré tout au long de l’année, en vue d’une adoption en 2024. Affaire à suivre, et de près.  

PS : cet article permet de comprendre et rappeler combien il est important de ne pas comparer des choux et des carottes lorsque l’on compare des chiffres d’élévation de température. Il faut toujours s’assurer que l’on compare des chiffres correspondant à des périmètres similaires, géographique et temporel (période de référence, échéance). Idem pour les scénarios, qui doivent être associés à un horizon temporel donné.

Image d’en tête : Rapport DRIAS 2020, figure 13.

COPs et concentration de CO2 : la gouvernance climatique est-elle vraiment inutile ?

Loïc Giaccone – 12 décembre 2022

Si vous suivez l’actualité du changement climatique, il est possible que vous ayez déjà vu passer une figure de ce style : sur une courbe montrant l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, ont été placées différentes étapes de la gouvernance climatique telles que la signature de la convention climat, le protocole de Kyoto ou encore, l’accord de Paris. La plupart du temps, pour des raisons diverses et variées, cette représentation a pour but de démontrer l’inutilité, ou l’échec, de la tentative de gestion du changement climatique par les institutions internationales et les gouvernements. 

Cette présentation de la situation est cependant problématique, voire fallacieuse, car elle masque un certain nombre d’éléments qui permettent d’avoir une vision bien plus nuancée de l’évolution de la lutte contre le changement climatique, en particulier du rôle de la gouvernance climatique faite sous l’égide de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

Nous allons analyser cela dans cet article. Nous commencerons par présenter différentes versions de cette représentation que l’on peut trouver, et le message associé. Puis nous reviendrons sur l’évolution conjointe de la gouvernance climatique et des connaissances scientifiques : il est nécessaire de connaître ce que l’on savait à l’époque et ce qui a été décidé pour évaluer la situation actuelle. Nous questionnerons ensuite l’utilisation de la concentration de CO2 comme indicateur des avancées de la gouvernance climatique, ainsi que la signification du succès ou de l’échec de celle-ci. Nous présenterons alors les résultats de travaux étudiant l’évolution des émissions passées et des projections, par rapport aux objectifs. Ces travaux montrent que des progrès significatifs ont été faits, bien qu’ils restent encore largement insuffisants. Enfin, nous synthétiserons les questions abordées durant les COPs, qui permettent de mieux comprendre l’importance et la complexité des négociations, ainsi que les différents points de blocage : répartition des responsabilités, transferts financiers, pertes et préjudices, etc. Ces sujets sont fondamentaux pour les pays et populations peu émetteurs et fortement vulnérables et qui luttent pour l’application de la justice climatique. Dans une dernière section, nous analyserons plus en détail les propos de Jean-Marc Jancovici sur les COPs et la gouvernance climatique.

Sommaire :

1. Une démonstration simple et marquante

2. Retour en arrière : gouvernance climatique et rapports du GIEC

3. La concentration de CO2 comme indicateur de réussite – ou d’échec – de la gouvernance climatique ?

4. Émissions passées et trajectoires futures : des évolutions significatives et quantifiées

5. Adaptation, aides financières, pertes et préjudices, justice climatique : les autres sujets des COPs

6. Conclusion : des progrès, encore beaucoup de chemin, et des incertitudes

Bonus : Jancovici, les COPs et les médias

1. Une démonstration simple et marquante

C’est une figure efficace, qui parle d’elle-même : elle a pour base ce qu’on appelle la courbe de Keeling, du nom du chercheur qui a mis en place les premiers relevés dans les années 60. Elle représente l’évolution de la concentration de CO2 atmosphérique, en augmentation depuis le début des mesures. Sur cette courbe, les auteurs placent différentes étapes de la gouvernance climatique : la signature de la Convention climat, le protocole de Kyoto, l’échec de Copenhague, l’accord de Paris, etc. Force est de constater qu’au fil des années, la courbe continue de monter, mais en plus, à un rythme de plus en plus rapide. Dans certaines versions, il y a également les publications des rapports d’évaluation du GIEC, ou bien l’ensemble des conférences des parties (COPs). Cette représentation, que l’on retrouve jusque dans des publications scientifiques, entend démontrer de manière simple et efficace l’échec de la gestion du problème climatique. Souvent, c’est le processus onusien, c’est-à-dire la CCNUCC et les COPs annuelles ainsi que les gouvernements qui y participent, qui sont critiqués : ces événements seraient inutiles, trop lents et complexes, ne menant à rien de concret, etc. Une version plus récente, ajoutant les fameuses « climate stripes » pour montrer l’évolution conjointe de la température, a eu un franc succès, comme dans ce post de l’économiste décroissant Timothée Parrique. Il y paraphrase Greta Thunberg, en parlant de « quarante ans de blah blah blah ».

Un exemple de ce type de figure, qui est parfois aussi présentée par les adversaires des politiques climatiques, comme ici Net Zero Watch (ex-GWPF), un organisme conservateur britannique au passif climatosceptique

Si ce discours vous dit quelque chose, c’est peut-être aussi parce qu’en France, le consultant et expert Jean-Marc Jancovici utilise régulièrement une figure similaire dans ses conférences, celles-ci faisant des centaines de milliers, voire des millions de vues sur Youtube.


Jean-Marc Jancovici, conférence à Genève, 17 septembre 2020

Ainsi, dans une conférence donnée à Science Po en août 2019 et cumulant 3,7 millions de vues, Jean-Marc Jancovici est clair : « Ce sont toutes [les COPs] des échecs, puisque ça augmente tout le temps ». Dans une autre conférence donnée à l’École des Ingénieurs de la Ville de Paris en septembre 2020, il déclare que « l’évolution de la quantité de CO2 dans l’air est totalement indifférente à ce qui peut se raconter dans les négociations annuelles sur le climat », et que « ce n’est pas de là que viendra la solution ». Quelques jours avant à Genève, il indiquait à son audience que « ça ne sert à rien, ou plus précisément, ça ne sert à rien de disruptif ». Cette figure lui permet également d’introduire son fameux cours sur le changement climatique à Mines Paris Tech. Il égratigne souvent au passage la couverture médiatique des sommets, comme dans une conférence donnée à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne : « Le succès ou l’échec d’une COP ne tient qu’à ce que le journal aura envie d’en dire. Mais rien d’autre. C’est juste l’envie du journaliste de dire que c’est un succès ou un échec ».

Mais alors, si tout ça ne sert à rien, pourquoi des milliers des personnes, parmi les plus qualifiées au monde sur le changement climatique, travaillent à l’année dans le but de préparer ces rendez-vous internationaux, et font le déplacement à chaque fois ? Nous allons voir qu’il y a bel et bien des raisons, et que la réalité est un peu plus nuancée que les présentations précédentes. Pour cela,  nous allons d’abord revenir sur les différentes étapes de la gouvernance climatique et l’évolution des connaissances scientifiques.

2. Retour en arrière : gouvernance climatique et rapports du GIEC

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été établi en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), avec pour but de fournir une évaluation des connaissances scientifiques sur l’évolution du climat, les causes et les stratégies possibles pour y faire face. Il a rendu son premier rapport en 1990. À l’époque, les travaux scientifiques ne permettent pas d’évaluer si le réchauffement observé est le fait des activités humaines ou de la variabilité naturelle du climat. Cependant, la science du climat indique déjà clairement que les températures augmenteront avec la poursuite des émissions, d’une ampleur dépendant du scénario poursuivi et de la réaction du système climatique, avec des conséquences pouvant être désastreuses à long terme. C’est sur cette base de connaissances que sera signée par les pays du monde la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) durant le Sommet de Rio, en 1992. Son « objectif ultime », mentionné à l’article 2, est de « stabiliser […] les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». C’est un objectif puissant, mais dont plusieurs termes restent à définir : qu’est-ce qu’une « perturbation dangereuse » ? Comment l’évaluer ? Et, par conséquent, à quel niveau faut-il stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre ? Ces questions complexes occupent les scientifiques, experts et diplomates au cours des années suivantes. Également, sous la pression des pays en développement, la convention consacre le principe des « responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives » (CBDR-RC) : il est unanimement reconnu que tous les pays sont responsables du changement climatique, mais dans des proportions bien différentes, avec des possibilités bien distinctes pour y faire face en termes d’atténuation des émissions et d’adaptation aux impacts.

Le second rapport du GIEC, en 1995, indique que la responsabilité anthropique dans le réchauffement est décelable, mais difficilement quantifiable. Il permet tout de même d’appuyer les négociations menant à la signature du protocole de Kyoto en 1997. Cet accord est vu comme un succès par certains car il présente des objectifs quantifiés de réduction absolue des émissions, il est contraignant et il présente une approche top-down de répartition de l’effort entre les pays concernés, c’est-à-dire les pays développés et les pays « en transition » de l’ex-URSS. D’autres sont plus critiques : l’ambition est limitée (baisse de 5% des émissions par rapport à 1990 pour ces pays), les mécanismes de marché sont peu efficaces, la mise en œuvre est lente (2005, pour une période allant de 2008 à 2012). Surtout, bien que l’objectif de réduction ait été atteint pour les pays signataires, le bilan est mitigé en raison du refus des États-Unis de ratifier l’accord, suivi du retrait du Canada. Pour plus de détails, nous vous renvoyons au chapitre 3 de « Gouverner le climat », de Stefan Aykut et Amy Dahan.

Le troisième rapport du GIEC, en 2001, conclut que « la majeure partie » du réchauffement observé est dû aux activités humaines. L’essor des travaux sur les impacts permet aussi de mettre l’accent sur la nécessité de l’adaptation, en parallèle de l’atténuation des émissions. Dans ce rapport, pour la première fois, le GIEC présente une évaluation de ce que pourrait représenter une « perturbation anthropique dangereuse du système climatique » en référence à l’objectif de la Convention, via cinq « motifs d’inquiétude », qui seront réévalués au fil des rapports suivants. Ils sont représentés à droite sur la figure suivante, en comparaison de l’élévation de température associée à différents scénarios d’émissions « business as usual » (sans politiques climatiques implémentées – attention, la période de référence pour la température est centrée sur 1990 et non sur l’ère préindustrielle) : 

Figure SPM-2 du Rapport de synthèse du troisième rapport du GIEC, 2001 ; pour la dernière version du sixième rapport, voir la figure SPM.3 du résumé du rapport du groupe 2

Le quatrième rapport, publié en 2007, accentue encore la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Il détaille également la réaction à long terme du système climatique, et il devient clair qu’une stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre, en particulier du CO2, n’est pas suffisante pour stabiliser la température, ce qui permettrait de limiter l’accentuation d’une partie des impacts. Ces éléments appuient l’évolution des négociations vers un objectif défini par un seuil de température plutôt qu’un niveau de concentration de CO2. L’attente est forte pour la COP15, à Copenhague, en 2009 : celle-ci doit établir un nouveau cadre qui prendra le relais du protocole de Kyoto, en intégrant cette fois tous les pays. La COP15 est un échec : les délégations et groupes de pays ne parviennent pas à s’entendre autour des travaux préparatoires, qui comportent de nombreux points d’achoppement. Ils sont mis de côté et une poignée de dirigeants ayant fait le déplacement rédigent dans l’urgence un court texte qui, pour la première fois, ne sera pas signé par l’ensemble des Parties. Il y a une seule avancée notable : les pays signataires actent de ne pas dépasser le seuil de +2 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Cependant, comme l’expliquent Stefan Aykut et Amy Dahan, « aucun engagement chiffré d’objectifs de réduction, aucun mécanisme contraignant ou aucune mesure de vérification ne sont mentionnés dans le texte », et aucun horizon temporel n’est précisé pour ce seuil (« Gouverner le climat », chapitre 8).

Un gros travail diplomatique sera fait pendant les années suivantes afin de tirer les conclusions de l’échec de Copenhague et de préparer ce qui deviendra l’accord de Paris. Tout d’abord, il y a une évolution vers une approche ascendante (« bottom-up »), où les pays présentent des « Contributions déterminées au niveau national » (CDNs), c’est-à-dire des engagements climatiques officiellement soumis à la CCNUCC, plutôt que d’essayer de répartir et imposer l’effort de manière descendante (« top-down »). Le GIEC a publié en 2013-2014 son cinquième rapport d’évaluation, qui réaffirme de manière encore plus forte le rôle anthropique dans le réchauffement et voit une évolution importante du nombre de travaux sur les impacts du changement climatique et l’adaptation (voir la figure 1.1, chapitre 1, AR5). Ces éléments scientifiques seront mobilisés pendant les difficiles négociations de la COP21, et permettront aux pays insulaires d’imposer la mention d’un objectif de température plus ambitieux dans le texte final. L’accord de Paris mentionne ainsi l’objectif de maintenir la température « nettement en dessous de 2 °C », tout en « poursuivant l’action » pour 1,5 °C. L’accord traite des sujets principaux de la gouvernance climatique : atténuation bien sûr, mais aussi transparence (pour la déclaration des émissions), adaptation, aides financières, etc. L’architecture de l’accord présente un mécanisme de renforcement des ambitions, les pays devant soumettre des engagements climatiques réhaussés tous les cinq ans, avec un système de suivi durant les COPs, et un bilan mondial régulier (« Global Stocktake »).

Afin d’établir des politiques climatiques permettant d’atteindre ces objectifs, il est nécessaire de savoir quelles trajectoires d’émissions doivent être suivies pour avoir une certaine chance de les respecter, en fonction des incertitudes climatiques. Dans ce but, le GIEC reçoit la commande d’un rapport spécial sur un réchauffement de +1,5 °C, qui sera publié en 2018. Celui-ci indique que, pour respecter le seuil de 1,5 °C, les émissions mondiales nettes de CO2 doivent être égales à zéro en 2050, et en 2070 pour 2 °C. Les rapports annuels successifs du PNUE sur l’écart entre les émissions, les engagements et les objectifs montrent que les trajectoires sont loin d’être suffisantes.


Cette figure, provenant du GIEC, représente l’évolution conjointe des connaissances scientifiques sur le climat et des principales décisions prises dans le cadre de la gouvernance climatique

La COP26 marquait une étape importante de la mise en œuvre de l’accord de Paris, avec le renforcement des contributions des pays, prévu tous les cinq ans. Cependant, les engagements des Parties de la convention ne permettent pas de limiter le réchauffement à 1,5 °C. Nous reviendrons plus loin sur les trajectoires actuelles des politiques climatiques, des engagements et leur évolution.

Cette section avait pour but de revenir sur l’évolution des connaissances scientifiques qui ont pour objet d’informer les pays pour la mise en place de politiques climatiques, et des décisions prises en conséquence. Si la possibilité du rôle anthropique dans le changement climatique observé était déjà mentionnée dans le premier rapport du GIEC, et bien que l’on ait eu des rapports sur le sujet dès la fin des années 70, ce rôle n’a pu être quantifié qu’à partir du troisième rapport, publié en 2001. Nous noterons également que c’est la mise en place du processus onusien qui est à l’origine de la création du GIEC et d’une part significative de l’essor des publications scientifiques sur le changement climatique, qui permettent de connaître, comprendre et suivre l’évolution de la situation. Dans le même temps, la gouvernance climatique onusienne a fourni un cadre d’échange et de négociations pour l’ensemble des pays du monde, où chacun a une voix, y compris les plus petits pays. L’objectif « ultime » reste le même depuis 1992 : empêcher une « perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». Dans ce but, les pays ont acté en 2015 de limiter le réchauffement « nettement en dessous de 2 °C », en poursuivant les efforts pour 1,5 °C. Nous allons maintenant voir comment évaluer l’atteinte de ces objectifs. 

3. La concentration de CO2 comme indicateur de réussite – ou d’échec – de la gouvernance climatique ?

Dans sa conférence à Science Po fin août 2019, Jean-Marc Jancovici exposait son habituelle figure et interrogeait son public : « Quand vous avez en physique une expérience dont vous voyez que le résultat est indépendant de la valeur d’une variable, vous en tirez comme conclusion que cette variable n’intervient pas dans le résultat de l’expérience ». Cette métaphore, qu’il utilise régulièrement à ce sujet, lui permet de conclure assez simplement que les COPs ne servent à rien, comme le CO2 continue de s’accumuler dans l’atmosphère. 

Quel est le problème avec cette présentation ? Tout d’abord, que l’expérience n’est pas finie. En fait, elle ne fait que commencer : le changement climatique est un problème qui va nous occuper pour des décennies, voire des siècles. La formulation de l’objectif dit « de long terme » de l’accord de Paris est le résultat d’un compromis diplomatique qui a permis d’obtenir la signature de l’ensemble des Parties. Cette formulation ambiguë signifie d’une part que le réchauffement doit rester « nettement en dessous de 2 °C », et d’autre part que l’on poursuivra les efforts pour 1,5 °C. Cela laisse au moins deux choses sujettes à interprétation :
– Ce que signifie « nettement en dessous », alors que chaque dixième de degré compte vis-à-vis des impacts ou de l’éventuel déclenchement de tipping points,
– Le dépassement éventuel du seuil de 1,5 °C, avant de revenir en dessous plus tard (trajectoires dites « avec dépassement », voir la FAQ 2.1 du Rapport Spécial 1.5).

Dans les deux cas, bien qu’il y ait une urgence absolue au niveau des actions à entreprendre, nous n’y sommes pas encore. D’après l’Organisation météorologique mondiale, il y a 50% de chances qu’une des cinq prochaines années dépasse 1,5 °C. Cela ne voudra cependant pas dire que le réchauffement aura atteint ce seuil, qui est calculé comme une moyenne sur plusieurs années. Ainsi, les débats sur le fait que ce seuil est déjà atteint ou « perdu » continueront encore quelques années (pour plus de détails, voir les éléments scientifiques les plus à jour sur ce sujet : la section 3 de cette note, la section dédiée du dernier rapport du projet Constrain). Le rapport du groupe 1 du GIEC d’août 2021 présentait une évaluation du franchissement potentiel des seuils de l’accord de Paris en fonction de différents scénarios d’émissions – les SSPs. Le seuil de +1,5 °C devrait être dépassé, quel que soit le scénario suivi, au début des années 2030s. Le scénario le plus ambitieux en termes de réduction dans ces projections, le SSP1-1.9, présente un dépassement à +1,6 °C, avant de revenir en dessous de 1,5 °C en fin de siècle (il est à noter qu’il y a aussi des scénarios sans dépassement, qui nécessitent des réductions plus fortes et rapides des émissions, catégorie C1 du rapport du groupe 3). Le seuil de +2 °C est dépassé en début de seconde moitié du siècle dans les scénarios les plus émetteurs, et il ne l’est pas dans les scénarios les moins émetteurs. Toutes ces projections sont soumises à des incertitudes élevées, en fonction de la réaction du système climatique.

Avant d’analyser notre courbe de concentration de CO2, il nous faut revenir sur quelques notions climatiques sur le rôle du CO2 et les liens entre émissions et concentration. Le CO2 est effectivement une variable importante pour le changement climatique : il y a une relation linéaire entre les émissions cumulées et l’élévation de température. Les émissions anthropiques de CO2 perturbent l’état d’équilibre qui prévalait à l’ère préindustrielle, provoquant une réaction des puits naturels, végétation et océans, qui capturent aujourd’hui environ la moitié du CO2 émis annuellement par les activités humaines. L’autre moitié s’accumule dans l’atmosphère, augmentant la concentration atmosphérique. La représentation classique est celle de la baignoire qui se remplit progressivement : tant que l’on remplit plus vite la baignoire que ce qu’il en sort, la concentration, c’est-à-dire le niveau de l’eau, continue d’augmenter. Lorsqu’on commence à baisser les émissions de CO2, c’est-à-dire lorsqu’on commence à diminuer le débit du robinet, la concentration continue d’augmenter tant que les émissions ne deviennent pas inférieures à ce que les puits naturels capturent. C’est pour cette raison que, même avec la baisse de plusieurs pour cent des émissions de CO2 en 2020 due à la pandémie, la concentration a tout de même augmenté. Depuis, les émissions sont reparties à la hausse, alors qu’il faudrait qu’elles diminuent chaque année. Les modèles climatiques indiquent qu’une fois les émissions nettes de CO2 égales à zéro, la concentration continue de baisser en raison de la poursuite de l’action des puits naturels – pour un temps -, tandis que la température se stabilise (mais ne baisse pas en raison de l’inertie thermique des océans).

Revenons à notre courbe de concentration de CO2 atmosphérique. Celle représentée dans les figures que nous mentionnions repose sur des données factuelles et valides. D’après le groupe 1 du GIEC, le niveau de la concentration de CO2 est le plus élevé depuis 2 millions d’années. Et il est hélas clair que l’augmentation de la concentration en CO2 s’accélère, comme le montre la figure ci-dessous, provenant d’un article de Carbon Brief (l’oscillation provient de la variation saisonnière due à la végétation) :

Cependant, l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, bien que déjà entamée comme nous le verrons plus loin, concerne essentiellement l’avenir. La différence au niveau de la courbe de concentration entre les différents scénarios, du plus ambitieux en réduction au plus émetteur, ne devient distinguable qu’au cours de la prochaine décennie, avant de présenter une divergence de plus en plus franche dans la seconde moitié du XXIème (voir notre article sur l’inertie du climat pour plus de détails sur ce sujet). Voici la projection de la concentration en CO2 en fonction des scénarios SSPs, provenant du rapport du groupe 1 du GIEC (AR6, Technical Summary, Box 5, Figure 1) :

Les scénarios SSP1-1.9 et SSP1-2.6 limitent le réchauffement à, respectivement et en estimation centrale, +1,4 °C et +1,8 °C en 2100. Le premier induit une baisse de la concentration de CO2 dès les années 2040, le second, durant la seconde moitié du siècle. Le scénario SSP2-4.5 mène à un réchauffement de +2,7 °C en fin de siècle, avec un début de stabilisation de la concentration et une poursuite du réchauffement par la suite. Les SSP3-7.0 et SSP5-8.5 mènent à +3,6 °C et +4,4 °C, une hausse qui se poursuit fortement au XXIIème siècle. Ces deux derniers scénarios sont des scénarios dits « de référence », sans aucune politique climatique mise en place (voir « reference scenario » dans le glossaire du GIEC). Ils permettent d’avoir une idée des trajectoires que pourrait suivre un monde sans aucune gouvernance climatique, ni globale, ni locale. Cette figure présente ainsi une vision intégrale d’un échec complet ou d’une réussite totale de la gouvernance climatique : nous n’en aurons une idée à peu près claire que dans quelques années, voire plutôt, quelques décennies. Il est encore trop « tôt » pour en juger. Les figures qui nous posent problème ne sont centrées que sur la partie « historique » en noir, au début de la figure. De plus, il reste à définir ce que serait vraiment un échec : il est possible d’échouer à respecter l’objectif de l’accord de Paris en étant à +2,3 °C en 2100 par exemple, mais cela reste une sacrée évolution par rapport aux trajectoires « business as usual » qui mènent à +3 °C voire +4 °C. Et il y aurait fort à parier que ce résultat serait, au moins en partie, lié aux efforts encadrés par la gouvernance climatique. 

L’article de Carbon Brief précédemment cité était justement dédié à la trajectoire de la courbe de Keeling dans le cas d’un scénario à +1,5 °C, qui induit une baisse forte, rapide et immédiate des émissions en vue d’atteindre la neutralité carbone aux environs de 2050. Le résultat à court et moyen terme serait le suivant : 


L’article note que, suivant la réduction forte des émissions, l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère commencerait à ralentir, jusqu’à plafonner au début des années 2040, avant d’entamer une lente décroissance, tandis que la température se stabilise. La raison de la baisse de la concentration est double dans ce scénario : les puits naturels de carbone sont essentiellement responsables du début de la baisse, mais leur effet ralentit au fur et à mesure que les émissions se réduisent (voir la figure 5.25, AR6, groupe 1). Dans ce scénario (voir la figure SPM.4, ou cet article, Rogelj et al., 2018), des émissions négatives anthropiques globales prennent alors le relais des puits naturels durant la seconde moitié du XXIème siècle, permettant de faire baisser la température de l’ordre d’un ou deux dixièmes de degrés par rapport au pic de température. Il est important de noter que les scénarios, bien que reposant sur des hypothèses « cohérentes », ne sont pas assujettis à des probabilités ou un niveau de « réalisme », ce qui est impossible à évaluer : ils servent à explorer les conséquences de différents postulats sur le système climatique, les sociétés et les écosystèmes en tentant de couvrir un large éventail de futurs possibles. Ce sont des projections et non des prédictions (voir le glossaire du GIEC). Les émissions négatives sont nécessaires pour l’atteinte de la neutralité carbone, mais leur déploiement à grande échelle est l’objet de fortes incertitudes et de nombreux débats, notamment en raison des conséquences potentielles sur les usages des terres et la biodiversité (voir le rapport spécial dédié du GIEC), ainsi que l’utilisation d’énergie et de ressources. 

En conclusion de cette section, nous pouvons affirmer qu’observer l’évolution passée de la concentration en CO2 dans l’atmosphère ne permet pas de conclure quant à la réussite, l’échec ou simplement l’utilité des COPs. La métaphore de Jean-Marc Jancovici avec « l’expérience » et la variable ne marche tout simplement pas, car ladite expérience est loin d’être terminée. De plus, le choix de la variable observée est critiquable : si l’on suit cette métaphore, pour observer une inflexion significative de la concentration de CO2 sur la période donnée, il aurait fallu que, dès les années 90 ou 2000, l’ensemble des pays s’engagent pour une réduction globale, rapide et drastique des émissions, de l’ordre de celle des scénarios à +1,5 °C, à une époque où les connaissances scientifiques n’étaient pas encore aussi établies, les technologies de décarbonation encore à leurs balbutiements, et les trajectoires climatiques étudiées et envisagées bien moins ambitieuses. Il faut aussi garder en tête que dans les scénarios à +1,5 °C, la courbe de concentration poursuit sa hausse pendant des années, atteignant un pic environ 25 ans après le début de l’atténuation des émissions (Meinshausen et al., 2020, figure 5). Également, pour pouvoir conclure quelque chose quant à l’utilité et l’efficacité des COPs en observant la courbe de concentration (ou même la courbe des émissions), il faudrait pouvoir comparer à un « contrefactuel », un monde sans COPs, sans Convention climat, sans gouvernance climatique et même sans GIEC. Il est difficile d’estimer ce à quoi pourrait ressembler ce type de trajectoire : serait-elle proche des scénarios « du pire » de type SSP5-8.5 ou SSP3-7.0, ou bien y aurait-il tout de même une atténuation des émissions liées à des efforts indépendants des pays ? Dur de le dire. Cependant, nous allons voir dans la section suivante qu’il est tout de même possible d’analyser plus en détail la trajectoire passée des émissions, et que les projections des émissions futures présentent des éléments significatifs quant à l’intérêt du processus onusien. 

4. Émissions passées et trajectoires futures : des évolutions significatives et quantifiées

Nous aurions pu nous arrêter là et conclure « qu’on ne peut pas savoir », étant donné que la divergence entre les courbes de concentration de CO2 des différents scénarios se situe dans l’avenir – proche tout de même. En tenant compte des incertitudes au niveau des données, pour les scénarios SSPs (dont la divergence entre les trajectoires d’émissions commence en 2015), nous devrions être en mesure de pouvoir détecter une tendance au niveau de la concentration de CO2 dans la seconde moitié de la décennie en cours, comme le montre la figure suivante de Meinshausen et al. (2020)

Cette étude est l’article de référence pour les concentrations des gaz à effet de serre des scénarios SSPs. Sur la figure, on observe à la fois des données historiques issues d’observations et des projections de la concentration de CO2 pour les différents SSPs en orange (hémisphère nord), noir (global) et bleu (hémisphère sud). Avec l’ensemble de scénarios d’atténuation du dernier rapport du groupe 3 du GIEC et à échéance 2050, cela donne ceci : 

 Figure de Glen Peters, qui s’inquiétait que le modèle climatique ici utilisé – MAGICC7 – pour projeter les concentrations des scénarios soit un poil haut par rapport aux observations (voir ici la figure correspondant aux émissions)

Sur cette figure, les scénarios des catégories C1 à C4 peuvent être considérés comme respectant l’objectif de l’accord de Paris, dans une vision « large » (jusqu’à + 2°C, et avec seulement 50% de chance pour la catégorie C4). Cependant, il existe un certain nombre de travaux qui permettent d’avoir une idée plus précise de l’évolution de la situation climatique, à la fois passée et pour le futur à court et moyen terme. Pour cela, nous allons passer à l’observation des émissions : la divergence entre les scénarios est plus précoce et bien plus forte entre les courbes d’émissions qu’entre les courbes de concentration, pour les raisons détaillées dans la partie précédente. L’une des FAQ du groupe 1 du GIEC le montre bien, avec deux scénarios distincts pour exemple : 

Figure FAQ 4.2, Sixième rapport du groupe 1 du GIEC, chapitre 4

Observer les émissions permet ainsi d’étudier plus en détail les inflexions éventuelles, et de les comparer aux trajectoires des différents ensembles de scénarios. Le chercheur Glen Peters, l’un des plus grands spécialistes de ce sujet, a récemment mis-à-jour sa figure de suivi des émissions de CO2, par rapport aux scénarios passés : 

Figure de Glen Peters, estimation des émissions de CO2 par rapport aux différents ensembles de scénarios

Au premier abord, on constate que les émissions, après avoir été plutôt vers le haut de la plage des scénarios passés, s’orientent désormais vers le milieu, avec une tendance vers une relative stabilisation. Cependant, quelques éléments pour interpréter cette comparaison : les scénarios en pointillés bleus, IS92, datent du second rapport du GIEC et représentent uniquement des scénarios sans politiques climatiques, aux différents postulats d’évolution des sociétés (économie, démographie, développement technologique, etc.). Idem pour les scénarios SRES, en vert, utilisés dans le troisième et le quatrième rapport. Les quatre scénarios RCPs datent du cinquième rapport du GIEC, publié en 2013-2014. Le scénario RCP4.5 représente un scénario de faible atténuation. Le scénario RCP2.6 est le premier véritable scénario d’atténuation, limitant le réchauffement à +2 °C. Que conclure de cette figure ? Tout d’abord, il ne faut pas oublier qu’il y a des incertitudes, à la fois dans la création des scénarios et des émissions associées aux postulats, et dans les observations. Ensuite, il est relativement normal que la trajectoire soit à peu près au milieu des ensembles de scénarios : c’est que les différentes générations de modélisateurs ont plutôt bien fait leur travail à l’époque, qui consiste à représenter les futurs possibles. On constate, sans trop de surprise, que la trajectoire ne s’infléchit pas autant que le scénario d’atténuation. Il semble également que l’on ne poursuive pas, ou plus, les trajectoires les plus élevées (sur ce sujet, voir la box 3.3 du groupe 3). 

Est-ce que cela signifie que l’on a bel et bien mis en place des politiques climatiques, qui ont eu pour effet d’infléchir la courbe des émissions par rapport à une trajectoire « de référence » ? Plusieurs travaux semblent montrer que oui. Tout d’abord, dans le passé : Eskander & Fankhauser (2020) ont calculé la réduction des émissions liée à la mise en place de politiques climatiques nationales entre 1999 et 2016, soit juste après la signature de l’accord de Paris. Leurs résultats indiquent une réduction, insuffisante bien sûr, mais tout de même significative, des émissions, en particulier de CO2 : 

Certes, comme nous le mentionnions précédemment, il n’est pas possible d’évaluer la part de réduction qui serait tout de même survenue sans les COPs et la gouvernance climatique. Il est possible que des pays eussent pris des mesures de leur propre chef, sans effort coordonné. Cela reste hautement spéculatif. Il est raisonnable d’envisager qu’une majeure partie des efforts d’atténuation passés et futurs sont liés à la mise en place du processus onusien de gouvernance climatique, qui a permis d’établir des connaissances, des objectifs, des trajectoires, des répartitions des efforts, etc. C’est l’une des principales conclusions de la synthèse des travaux scientifiques effectuée par le groupe 3 du GIEC, dans le résumé du rapport paru au printemps 2022 (paragraphe E.6, traduit par nos soins) : « La coopération internationale est un catalyseur essentiel pour atteindre des objectifs ambitieux d’atténuation du changement climatique. La CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris soutiennent les niveaux croissants d’ambition nationale et encouragent l’élaboration et la mise en œuvre de politiques climatiques, même si des lacunes subsistent ».

Tournons-nous vers l’avenir maintenant : vers quel réchauffement nous dirigeons-nous actuellement ? Quelle évolution par rapport aux trajectoires précédentes ? Le rapport annuel de l’ONU sur « l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions » permet de voir les dernières tendances. La figure suivante, tirée du chapitre 4 du rapport complet, montre les trajectoires des émissions futures pour les politiques actuelles et les engagements des pays dans le cadre de l’accord de Paris, par rapport aux scénarios à +1,5 °C et +2 °C :

On constate tout d’abord une différence significative de la trajectoire actuelle, en bleu foncé, avec la trajectoire des politiques en place en 2010, accentuée par le Covid. Les politiques actuellement implémentées mènent désormais à une baisse assez lente des émissions après un pic en 2030, qui provoquerait un réchauffement d’environ +2,8 °C en 2100 (l’incertitude allant de +1,9°C à +3,3 °C). Les contributions des pays à échéance 2030 déclarées à la CCNUCC, si les politiques nécessaires pour les atteindre sont mises en place, abaisseraient légèrement ce chiffre à +2,4 °C, à la condition que les engagements d’aide financière des pays développés vers les pays en développement soient tenus. Si les engagements de long terme annoncés par les pays (de type neutralité carbone ou tous gaz à effet de serre à échéance 2050, 2060 ou encore 2070) sont tenus, l’élévation de température pourrait être limitée à +1,8 °C. Ceci reste encore hautement hypothétique : il y a deux écarts à combler, un écart d’engagements, notamment de court terme, et un écart d’implémentation de politiques climatiques. Ces chiffres sont cohérents avec le travail similaire effectué par Climate Action Tracker. Une figure de leur dernier bilan présente même explicitement l’impact de l’accord de Paris sur l’évolution des projections climatiques : 


Ainsi, les politiques mises en place depuis l’accord de Paris permettraient une baisse de 0,9 °C par rapport à la trajectoire originale. L’effet de l’ensemble des engagements et objectifs de long terme serait de 1,5 °C. Il reste cependant beaucoup de travail pour continuer d’infléchir la trajectoire des politiques climatiques implémentées, qui est en quelque sorte la trajectoire « réelle » qui sera suivie, à la condition que ces politiques soient efficaces : cela laisse beaucoup d’incertitudes, et d’efforts à faire. Plusieurs autres organisations étudient ces tendances et trajectoires. La CCNUCC publie une synthèse des Contributions déterminées au niveau national en amont de chaque COP. L’Agence Internationale de l’Énergie, dans son rapport annuel (World Energy Outlook 2022), présente également une projection des émissions de CO2 liées à l’énergie : 

Le scénario STEPS représente les politiques en place lors de la publication du rapport. On voit bien l’écart avec la trajectoire « pré-Paris », mais aussi avec les engagements annoncés (scénario APS) et le scénario à +1,5 °C de l’Agence (scénario NZE). Une équipe de chercheurs a également effectué une projection des engagements climatiques suite à la COP26, montrant qu’une implémentation rapide et totale de tous les engagements annoncés pourrait limiter le réchauffement juste en dessous de +2 °C (Meinshausen et al., 2022). La même équipe a récemment publié une mise-à-jour de ce travail, en le comparant aux autres projections. Leur note montre que si l’on tient compte des différences méthodologiques, les résultats des projections des différentes organisations sont cohérents. Tous mettent l’accent sur la nécessité de renforcer les engagements à horizon 2030, pour les aligner avec les trajectoires de long terme limitant le réchauffement nettement en dessous de 2 °C.

En résumé de cette section, il est clair que la situation évolue, et de manière significative. Nous ne sommes plus sur les trajectoires « business as usual » d’il y a une dizaine ou une quinzaine d’années, et la gouvernance climatique y est pour quelque chose. En particulier, l’accord de Paris et son mécanisme de renforcement des engagements a permis d’infléchir la trajectoire des émissions. Cependant, nous n’en sommes qu’au début des efforts et il reste de nombreux défis pour l’atténuation, en particulier au niveau national : il faut s’assurer que les politiques climatiques mises en place soient efficaces, il faut renforcer les engagements, en particulier ceux de court et moyen terme, et il faut mettre en place les politiques supplémentaires qui permettront de les atteindre. Enfin, il faut que les pays développés respectent leurs engagements en ce qui concerne les aides financières aux pays en développement. Ce qui nous mène à notre section suivante. 

5. Adaptation, aides financières, pertes et préjudices, justice climatique : les autres sujets des COPs

Dans cette section, nous tentons de faire une courte synthèse des autres thèmes abordés durant les COPs, tout en soulignant leur importance. Car la gouvernance climatique, ce n’est pas juste la gestion de l’effort conjoint d’atténuation des émissions : c’est aussi et surtout la répartition des efforts au sein d’un monde inégal, le soutien – financier, technologique, etc. – aux pays en développement, la question des pertes et préjudices pour les pays les plus vulnérables, et, plus largement, un cadre pour tenter de faire appliquer les enjeux de la justice climatique.

L’inégale répartition des émissions de gaz à effet de serre et les inégalités de développement avaient mené à l’inscription du principe des « responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives » dans la Convention climat en 1992. Ce principe a été réaffirmé dans l’accord de Paris, dans le but de gérer collectivement le problème alors que certains en sont bien plus responsables que d’autres, tout en étant beaucoup moins vulnérables aux conséquences. C’est cette situation profondément injuste qui est aux origines de l’idée de justice climatique. Les COPs ont ainsi été le lieux de luttes âpres pour faire entendre les voix des pays et populations les plus touchés par les impacts actuels et futurs du changement climatique, alors qu’ils pèsent une part très limitée des émissions. Ces pays dits « en développement », regroupés en différents groupes, ont tenté au fil des années de pousser les pays développés à réduire en priorité leurs émissions, étant donné qu’ils étaient historiquement responsables, et que leur niveau de richesse leur permettait de le faire. Ils demandent également des aides financières pour leur propre atténuation, pour l’adaptation aux impacts et pour les pertes et préjudices qu’ils subissent et vont subir. Les pays développés, en particulier les États-Unis, ont longtemps renâclé à réduire leurs émissions, à accepter de contribuer aux aides demandées, et encore moins à « compenser » pour les dommages causés par leurs émissions. Ce bras de fer, analysé en détail dans le livre de Stefan Aykut et Amy Dahan, explique pour partie l’évolution difficile de la gouvernance climatique, et la complexité de la gestion du problème. 

Ainsi, en parallèle de la question de l’atténuation des émissions, un certain nombre de sujets font l’objet de négociations et de sections dédiées dans les accords : la transparence (en particulier sur les déclarations des émissions, le GIEC ayant pour mission de produire des rapports méthodologiques sur le sujet), l’adaptation, les pertes et préjudices, le soutien (financier, technologique, de développement de capacités), ou encore les différents cadres de coopérations (marchés carbone par exemple). Pour chaque décision, par exemple la mise en place d’un fond d’aides financières, les négociations durant les COPs ont pour but de passer de la déclaration d’intention, généralement inscrite dans une décision précédente, à des mesures opérationnelles concrètes : c’est principalement l’objet des COPs « intermédiaires », succédant à la signature d’un accord important, mais aussi des nombreux événements ayant lieu durant l’année, entre deux COPs. 

Le chapitre 14 du dernier rapport du groupe 3 du GIEC, dédié à la coopération internationale, décrit dans le détail le fonctionnement, l’évolution et les apports de la gouvernance climatique. La première phrase de son résumé est claire : « La coopération internationale a des résultats positifs et mesurables (degré de confiance élevé) ». Il mentionne également avec un degré de confiance élevé que la participation aux accords internationaux « est associée à l’adoption de politiques climatiques aux niveaux national et infranational, ainsi que par les acteurs non étatiques ». Les auteurs mentionnent ensuite les changements significatifs apportés par la signature de l’accord de Paris, tout en soulignant qu’il y a des débats quant à la réalisation de ses objectifs. Les sections dédiées du chapitre présentent de nombreux travaux qui analysent dans le détail les mécanismes de l’accord et les thèmes couverts par celui-ci. Le dernier point du résumé indique que la coopération internationale devra être renforcée afin de limiter l’élévation de température nettement en dessous de 2 °C. La figure ci-dessous illustre dans ce chapitre les principaux objectifs, éléments et mécanismes de l’accord de Paris :


Enfin, les membres des délégations des différents pays forment une minorité des participants aux COPs. Stefan Aykut et Amy Dahan décrivent dans « Gouverner le climat » ce qui est appelé le « off » des COPs, c’est-à-dire tout ce qui se déroule à côté des négociations officielles, comme le « poumon » du processus. Des centaines d’événements sur tout autant de sujets spécifiques liés à la thématique immense du changement climatique sont organisés par des entités diverses et variées, publiques et privées : gouvernements, organismes tels que le GIEC, laboratoires de recherche, think tanks, ONGs, et, bien sûr, entreprises. Cela comprend, malheureusement, un nombre important de représentants des industries fossiles. Plus largement, vis-à-vis du grand public, c’est une occasion de remettre le sujet climatique sur la table. Ainsi, les COPs font également partie des rares endroits où certaines populations, particulièrement vulnérables telles que les peuples autochtones, peuvent se faire entendre.

6. Conclusion : des progrès, encore beaucoup de chemin, et des incertitudes

Revenons-en à notre figure de la concentration de CO2 et des COPs et accords. Nous n’allons pas nous en cacher : celle-ci était en partie un prétexte pour se pencher sur l’évolution conjointe de la gouvernance climatique et des connaissances scientifiques, ainsi que sur les dernières mises-à-jour des trajectoires climatiques. Nous partions d’une figure et de discours qui représentent, d’une manière au mieux discutable, au pire franchement fallacieuse et problématique, l’efficacité et l’intérêt de la gouvernance climatique. Suite aux différents développements des sections de l’article, nous pouvons tirer quelques conclusions assez différentes quant à l’efficacité et l’importance du processus onusien aujourd’hui en place :
– La gouvernance climatique est un processus lourd, lent et complexe, mais qui a offert un cadre de négociations pour gérer le problème du changement climatique, en donnant une voix à tous et en reconnaissant des niveaux très différents de responsabilités vis-à-vis des émissions et de vulnérabilité face aux impacts, permettant dès les années 90 de faire émerger la notion de justice climatique, aujourd’hui centrale ;
– Bien qu’il soit trop « tôt » pour juger de l’échec ou du succès – qui restent à définir précisément – de la gouvernance climatique, il y a d’ores et déjà des quantifications significatives des efforts menés dans la lutte contre le changement climatique, aussi bien au niveau des émissions passées que des trajectoires futures, qui s’éloignent de plus en plus des scénarios « business as usual » et montrent de nets progrès ;
– Il reste cependant beaucoup de travail pour s’assurer de respecter l’objectif « ultime » de la Convention et les objectifs de l’accord de Paris : il faut relever les engagements, en particulier ceux de court terme, et mettre en place les politiques qui permettront de les atteindre,
– Il y a également énormément de travail à la fois en cours et à faire sur les autres sujets que l’atténuation : l’adaptation bien sûr, mais aussi les aides financières, les transferts technologiques, la question des pertes et préjudices, les accords sectoriels (par exemple pour la déforestation, ou sur le méthane), etc.,
– Enfin, il ne faut pas oublier que les incertitudes sont élevées : il y a des incertitudes au niveau des projections des trajectoires d’émissions par les modèles en fonction des scénarios étudiés, puis des incertitudes au niveau de la réponse climatique à ces trajectoires ; et, bien sûr, une incertitude quant à la trajectoire qui sera effectivement suivie par les sociétés humaines.

Il faut bien comprendre que le changement climatique est un combat qui s’étale sur des décennies, demandant de maintenir la pression à toutes les étapes : il faut lutter pour obtenir des engagements et pour qu’ils soient à la hauteur, il faut ensuite lutter pour que des politiques adéquates soient mises en place pour les atteindre, puis il faut assurer un suivi et ajuster si besoin, tout en continuant de lutter pour éviter tout retour en arrière. Et il faut également lutter pour que tout ceci se fasse de manière équitable et juste. Une partie de ces luttes se joue durant les COPs, en particulier lors des bilans des efforts comme durant le Global Stocktake qui aura lieu à la COP28. Désormais, avec un cadre global établi, une majeure partie du travail se joue au niveau national et local, pour la mise en place de politiques climatiques d’atténuation et d’adaptation. 

Le message insinuant que les COPs ne « servent à rien » est à la fois faux et problématique : non seulement il masque de vraies évolutions, mais en plus il ignore les nombreuses luttes qui se jouent dans ces enceintes, en particulier celles des populations les plus vulnérables telles que celles des Petits États insulaires en développement et des peuples autochtones. Pour des populations entières, leur avenir se joue durant les négociations qui y ont lieu, en particulier sur les questions des aides financières pour l’atténuation, l’adaptation et les pertes et préjudices. De plus, l’architecture de l’accord de Paris est celle d’une prophétie auto-réalisatrice, pour reprendre les termes de Laurence Tubiana : l’avenir n’étant pas écrit, plus on s’engage et plus on lutte pour aller dans une certaine direction, plus on a de chances de poursuivre une trajectoire qui s’en rapproche. C’est en partie pour cela que le chercheur Stefan Aykut parle de « gouvernance incantatoire ». Le problème, c’est que cela marche dans les deux sens : plus on dit que cela ne sert à rien, moins on fait d’efforts, et moins on a effectivement de chances d’infléchir la trajectoire des émissions.

Les communicants, vulgarisateurs, influenceurs et journalistes traitant du changement climatique ont donc une véritable responsabilité à ce sujet : il est fondamental de faire comprendre la complexité du régime climatique, en explicitant les raisons des blocages (par exemple, dans le cas du retrait américain de Kyoto), les relations entre pays et groupes de pays, les rapports de force, les questions de responsabilité et, plus généralement, de justice climatique. Ils doivent également faire part des progrès lorsqu’il y en a, en émettant de nécessaires réserves quant à leur portée et explicitant les efforts restant à faire. Heureusement, nombre d’entre eux font d’ores et déjà très bien le travail, comme nous le verrons à titre d’exemple dans la section suivante.

Bonus : Jancovici, les COPs et les médias

Lors de la rédaction de cet article, nous avions simplement prévu de mentionner que Jean-Marc Jancovici présente régulièrement sa figure sur la concentration de CO2 et les COPs. Cependant, en réécoutant ses propos durant ses conférences, il nous a semblé important de revenir plus en détail sur ceux-ci concernant la gouvernance climatique.  Jean-Marc Jancovici ne se contente pas de dire que les COPs ne servent à rien, comme nous le mentionnions dans la première partie. Il décrit un fonctionnement de cette gouvernance pour le mieux simpliste, et un certain nombre d’éléments qu’il présente sont factuellement faux.

Tout d’abord, en présentant sa figure et dans la plupart des conférences, il ironise sur le fait que certaines COPs ont été qualifiées de « succès » (la première, celle du protocole de Kyoto, celle de l’accord de Paris), une autre « d’échec » (celle de Copenhague). 


Capture d’écran de la conférence de Jean-Marc Jancovici à l’École des Ingénieurs de la Ville de Paris (EIVP), septembre 2020

L’augmentation de la courbe de concentration lui permet de dire que toute cette agitation n’a pas d’intérêt, et que toutes ont été des échecs. Comme nous venons de le voir dans les parties précédentes, la réalité est un peu plus compliquée que ça : il n’a pas été acté ni en 1992, ni en 1997, ni en 2015 que l’ensemble des pays du monde allaient réduire leurs émissions drastiquement et atteindre la neutralité carbone dans les années qui suivent, ce qui aurait pu avoir un résultat clairement visible sur une courbe de concentration de CO2 à l’échelle temporelle qu’il représente. Mais Jean-Marc Jancovici ne s’arrête pas là, car sa « démonstration » lui permet en plus de critiquer les journalistes et les médias : « Le résultat d’une COP, c’est très exactement ce que le journaliste a envie d’en dire », déclare-t-il à l’EIVP en 2020, des propos similaires à ceux tenus à l’EPFL. Dans sa conférence de 2019, il déclarait que « ça n’a aucune espèce d’importance, ce que la presse dit sur une COP ». Comme dans d’autres interventions, pour appuyer ses propos, il prend l’exemple de la COP15 de Copenhague, qualifiée d’échec, où il s’était rendu :

« Copenhague j’y étais, j’y étais pendant les quinze jours, je peux vous dire que c’était tout sauf un échec – par rapport aux autres COPs -. Les 2 °C datent de Copenhague. Ce n’est pas à Paris que les 2 °C ont été entérinés, c’est à Copenhague. Et c’est parce que monsieur Jadot et consorts se sont pavanés devant les caméras en disant que c’est un échec parce qu’ils étaient vexés comme des poux de ne pas avoir été associés à la décision, c’est à peu près comme ça que ça s’est passé, que la presse a retenu que c’était un échec. Mais ce n’était pas du tout un échec. Enfin, relativement aux autres. Après ce sont toutes des échecs, puisque ça augmente tout le temps [CF la figure de la concentration de CO2]. »  

Nous en parlions précédemment, il est vrai que les 2 °C ont été mentionnés pour la première fois dans une déclaration issue d’une COP à Copenhague. Cependant, Jean-Marc Jancovici réécrit littéralement l’histoire ici : si les médias ont parlé d’échec, c’est parce qu’ils retranscrivent et transmettent les paroles de personnes présentes à la COP, diplomates, représentants politiques, experts, activistes, etc. Bien sûr, tous ne disent pas tout-à-fait la même chose, et c’est d’ailleurs le rôle des journalistes que de transmettre ces différents points de vue. Mais dans le cas de Copenhague, il y a une assez forte unanimité quant à l’échec de la conférence. Stefan Aykut et Amy Dahan y consacrent un chapitre complet dans « Gouverner le climat », le n°8, intitulé « Le choc de Copenhague, la régression du climat ». Cette conférence était censée accoucher d’un nouvel accord prenant le relais du protocole de Kyoto, qui était limité aux pays les plus développés et dont la période couverte se terminait en 2012. Les espérances étaient probablement trop élevées en amont, mais le résultat final a été très décevant : une trentaine de pays – représentant les plus gros émetteurs, et en présence d’une partie de leurs chefs d’Etats – ont rédigé de leur côté et au dernier moment un accord « minimaliste » qui entérine certes le 2 °C, mais ne mentionne « aucun engagement chiffré d’objectifs de réduction, aucun mécanisme contraignant ou aucune mesure de vérification », et n’assigne pas d’horizon temporel. Fait rare, le texte final n’est pas formellement accepté par les Parties de la CCNUCC, qui en ont seulement « pris note ». Certains, ayant participé aux négociations, estiment même que l’accord signé était « une tentative désespérante de masquer l’échec » de la conférence (Dimitrov, 2010). Pour plus de détails sur les positions des différents pays et blocs de pays, sur le rôle de la société civile, sur l’histoire du seuil de 2 °C et sur les conséquences de ce qui a été surnommé « Flopenhagen », nous vous renvoyons au chapitre dédié de « Gouverner le climat ». Il est à retenir que la gouvernance climatique a presque « touché le fond » à ce moment, et a entamé une remise en question importante qui aura permis de mener à l’élaboration de l’accord de Paris. On peut d’ailleurs comprendre pourquoi, partant de là, Paris a été qualifié de « succès » : l’accord a scellé des objectifs, des engagements concernant l’ensemble des Parties, un mécanisme de renforcement et de suivi, et a établi des cadres pour les autres sujets tels que l’adaptation ou les aides financières. Ainsi, non seulement le récit de Jean-Marc Jancovici est à l’encontre de la plupart des spécialistes et experts sur le sujet, mais en plus, on ne peut reprocher à la presse de retranscrire ce que lesdits experts ainsi que les membres des délégations, les scientifiques, et les activistes présents déclarent aux journalistes. Il fustige Yannick Jadot dans l’extrait cité précédemment (et « les ONGs » dans d’autres), alors que celui-ci avait plutôt raison dans ses critiques, déplorant à l’époque durant les négociations le risque d’un « mauvais accord », « avec de mauvais chiffres bourrés d’échappatoires et de magouilles ». Au final, il n’y aura même pas eu de chiffres de réduction des émissions dans l’accord final. On peut comprendre la forte critique des organisations écologistes à l’issue de la conférence.

Et ce n’est pas fini : perçu et présenté comme un expert de la question climatique, Jean-Marc Jancovici est régulièrement amené à s’exprimer dans les médias. Il tient notamment une chronique sur RTL, durant laquelle il était récemment amené à expliquer pourquoi la COP27 n’était « pas un succès ». Sa courte chronique rassemble l’essentiel des éléments problématiques que nous avons analysés précédemment. À la question de savoir si la conférence était un succès ou un échec, il répond :

« Ça dépend du sens du vent et de l’âge du capitaine. J’étais personnellement à la COP de Copenhague en 2009 et c’est la seule COP qui a été un vrai succès, de mon point de vue puisque l’objectif politique des 2 °C date de Copenhague. La clause des dommages date de cette époque là. Et ça s’est fait parce que dans la nuit du jeudi au vendredi de la deuxième semaine, alors que les négociations patinaient comme d’habitude, un certain nombre de chefs d’Etats, dont Nicolas Sarkozy, se sont réunis dans une pièce et ils ont sorti ce sur quoi ils étaient d’accord sur deux pages. C’est la seule fois où le processus n’a pas été onusien et c’est la seule fois où on a accouché de vraies décisions. »

Et de conclure :

« Ça n’est jamais vraiment un succès parce que quand on regarde comment les émissions et la concentration de GES dans l’atmosphère ont évolué après les COPs, ça n’a absolument rien changé par rapport à l’époque où il n’y avait pas de COPs ». 

Il y a plusieurs choses à dire :
– Il est faux de dire que Copenhague a été un succès, pour les raisons que nous avons vues précédemment ;
– Il est faux de dire que la « clause des dommages date de cette époque là [de Copenhague] » : comme le montre l’article détaillé de Carbon Brief sur l’histoire des négociations pour les pertes et préjudices au cours des COPs, les pays les plus vulnérables, c’est-à-dire surtout les Petits États insulaires en développement, luttent depuis plus de trois décennies sur ce sujet ; en 2009, les références pour un mécanisme de gestion des pertes et préjudices ont été retirées de l’accord, essentiellement en raison des États-Unis et de l’Union européenne (Vanhala & Hestbaek, 2016) ;
– Il est vrai que l’accord de Copenhague a été rédigé en partie par des chefs d’Etats et que c’est une exception dans le processus onusien, en revanche, il est faux de dire que cela « a accouché de vraies décisions » : toutes mentions d’objectifs quantifiés de réduction des émissions ont été supprimées durant les négociations, le travail effectué en amont par des délégations pour préparer l’accord a été mis à la poubelle durant la deuxième semaine de la COP (un moment de bascule), ce qui a obligé les dirigeants à repartir de zéro en urgence – alors que leurs négociateurs spécialisés sur les différents sujets préparent normalement le terrain en amont -, afin de limiter les dégâts et de sauver la face en ayant tout de même une déclaration (Dimitrov, 2010) ;
– Nous venons de détailler dans les sections précédentes le problème de la démonstration tirée de la courbe de concentration de CO2 ; on peut d’ailleurs se demander pourquoi est-ce qu’il continue de présenter les choses de cette manière, car il sait très bien ce que donnent les courbes de concentration de CO2 des scénarios d’émissions, et qu’une analyse de l’effet des politiques climatiques sur une échéance si limitée ne devrait pas se faire au niveau de la concentration.

Alors certes, la COP27 n’était pas tout-à-fait un succès, ni tout-à-fait un échec. Mais pour le comprendre plus en détail, il vaut mieux s’informer autrement qu’auprès de Jean-Marc Jancovici. Il est même fort probable que vous serez bien mieux informés sur les COPs, leur histoire, leur fonctionnement, leurs enjeux et ce qu’il s’y passe en lisant les médias qui font un excellent travail sur le sujet, et pour certains, depuis des années. Audrey Garric fait par exemple une couverture formidable du changement climatique et ses enjeux pour Le Monde (voir sa couverture de la COP27 ici et ici), tout comme Thomas Baïetto sur Franceinfo (ici, ici). Libération fait également un excellent travail (ici, ici), Ouest-France (ici), The Conversation (ici, ici), la liste est longue. Enfin, pour une présentation détaillée de la gouvernance climatique, son fonctionnement et ses évolutions, nous vous recommandons l’ouvrage de référence cité tout au long de cet article « Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales » de Stefan Aykut et Amy Dahan. L’interview d’Amy Dahan par Paloma Moritz de Blast suite à la COP26 est également très complète. 

Nous remercions les relecteurs de cet article pour leur aide : Paul Mauger, Paul Valcke.

Climat, GIEC et intersectionnalité : un cadre d’analyse indispensable

Loïc Giaccone – 25 janvier 2022

« Je vous rejoindrais bien sur l’urgence climatique, mais pas sur l’intersectionnalité et autres délires ». C’est en ces termes affirmés qu’un internaute répondait en août 2021 à un tweet du compte officiel d’Europe Écologie Les Verts présentant l’une des conclusions du rapport du groupe I du GIEC, qui venait d’être publié [1][2]. Quelques mois plus tard, l’économiste Jean-Marc Daniel, à l’occasion d’une critique du livre « Criminels climatiques » du journaliste Mickaël Correia, s’interroge : « Quel est le rapport qu’il y a [sic] entre l’intersectionnalité et la situation climatique ? » [3][4]

Des discours de ce type ne sont pas rares, en particulier dans certains médias. Ils marquent cependant une importante méconnaissance à la fois de ce qu’est l’intersectionnalité ainsi que son intérêt en sciences humaines et sociales, et de la problématique du changement climatique. Nous allons voir dans cet article que, non seulement l’intersectionnalité est une matrice indispensable pour analyser les impacts du changement climatique sur les populations, mais aussi, qu’elle est déjà présente depuis des années dans la littérature scientifique sur le changement climatique, et, par conséquent, dans les rapports du GIEC. 

Sommaire :  

Intersectionnalité et sciences humaines et sociales

Impacts du changement climatique sur les populations : historique

Interaction climat-société, risque climatique

Intersectionnalité et changement climatique

En France, un climat d’inégalités et d’injustice climatique

Conclusion : un cadre pertinent, pour l’adaptation comme l’atténuation

Sources et références

Intersectionnalité et sciences humaines et sociales

L’histoire du concept d’intersectionnalité remonte à deux articles publiés par la juriste américaine Kimberle W. Crenshaw en 1989 et 1991. Elle y menait une réflexion sur le militantisme féministe du point de vue des afro-américaines, par rapport à celui du féminisme « classique » de la classe moyenne blanche. Pour elle, les femmes afro-américaines se retrouvent à l’intersection de plusieurs rapports de domination, à la fois en tant que femmes et en tant que racisées [5][6]. Bien que le terme d’intersectionnalité n’apparaisse qu’au tournant des années 90, des approches militantes que l’on pourrait qualifier d’intersectionnelles ont été observées dès la fin du XIXème siècle dans le contexte colonial de l’époque, comme le montrent les historiennes Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel dans leur étude des féminismes français [7].

D’une notion abordée dans une perspective militante, l’intersectionnalité est devenue, au cours des dernières décennies, un outil d’analyse utilisé dans les sciences humaines et sociales, en particulier en sociologie [8]. L’intersectionnalité permet une analyse approfondie de la façon dont différents rapports de domination induits par différentes formes d’inégalités ne s’ajoutent pas simplement, mais interagissent entre eux, en fonction du contexte observé. Dans un article pour la revue Mouvements, faisant partie d’un dossier dédié à l’intersectionnalité [9], les sociologues Eléonore Lépinard et Sarah Mazouz reviennent sur ses origines et détaillent ce concept : 

« La notion d’intersectionnalité vise […] à analyser comment selon les contextes, la classe, ou la race, ou le genre, ou la catégorie de sexualité, ou encore l’âge jouent un rôle déterminant dans la forme que la configuration particulière d’un rapport de pouvoir peut prendre. […] L’intersectionnalité est donc porteuse d’une exigence conceptuelle forte : rendre compte de la complexité et du caractère historique des rapports sociaux. »

De nombreux travaux de vulgarisation permettent de mieux appréhender ce concept, son histoire et ses implications [10][11][12]. Pour résumer, une approche intersectionnelle consiste à étudier les vulnérabilités des populations en raison de leurs caractéristiques, le contexte dans lequel elles se situent, la façon dont elles s’articulent et les rapports de domination qui en résultent.  

Impacts du changement climatique sur les populations : historique

Les connaissances scientifiques des conséquences du changement climatique sur les populations ont énormément progressé durant la trentaine d’années qui nous séparent de la publication du premier rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, IPCC en anglais), en 1990. Le GIEC a pour mission d’évaluer de manière neutre la littérature scientifique sur le changement climatique publiée à un instant t, afin d’aider à orienter l’action politique [13]. Nous allons observer ici l’évolution de ces connaissances au fil des rapports, en particulier les mentions des déterminants des impacts. 

Dans le second rapport d’évaluation, en 1995, de nombreuses incertitudes persistent sur l’évolution du climat, l’origine anthropique du réchauffement ainsi que les conséquences sur les écosystèmes et sociétés humaines. Il est supposé que le changement climatique risque de toucher plus fortement les pays en voie de développement, car il est clair que la vulnérabilité aux impacts est liée au contexte sociétal : « La vulnérabilité de la santé humaine, des systèmes socio-économiques et, dans une moindre mesure, des écosystèmes, dépend des conditions économiques et de l’infrastructure institutionnelle » [14]. Ainsi, le rapport s’inquiète de l’approvisionnement alimentaire de populations déjà menacées : « Les risques de disette alimentaire et de famine peuvent s’accroître à certains endroits. C’est parmi les populations les plus pauvres du monde – notamment celles des régions tropicales et subtropicales qui, dans les zones arides et semi-arides, dépendent de systèmes d’exploitation isolés – que le problème de la faim risque de s’intensifier le plus ».  

Le troisième rapport d’évaluation du GIEC, publié en 2001, affirme la responsabilité anthropique pour « la majeure partie » du réchauffement climatique observé. Le second groupe de travail prend l’intitulé et le cadrage qu’il conservera jusqu’à aujourd’hui : conséquences, adaptation et vulnérabilité (le groupe I étant consacré aux éléments scientifiques, le groupe III à l’atténuation du changement climatique). Le Résumé à l’intention des décideurs (RID), qui rassemble les conclusions principales du rapport complet du groupe II, présente plus de détails sur la façon dont les populations sont touchées différemment en fonction de leur diversité [15]. La vulnérabilité est surtout vue au prisme de la différence de possibilité d’adaptation : « La capacité des systèmes humains de s’adapter et de faire face au changement climatique est conditionnée par des facteurs tels que la richesse, les moyens techniques, l’éducation, l’information, les compétences, l’infrastructure, l’accès aux ressources et le potentiel de gestion. Les pays développés et en développement ont la possibilité d’acquérir cette capacité ou de la renforcer. Les populations et les communautés sont très diversement favorisées pour ce qui est des facteurs évoqués ci dessus, et les pays en développement – notamment les pays les moins avancés – sont généralement les plus défavorisés à cet égard. De ce fait, ces pays ont une capacité d’adaptation moindre et sont plus vulnérables aux dommages causés par les changements climatiques – tout comme ils sont plus vulnérables à d’autres contraintes –, et ce sont les couches les plus pauvres de leurs populations qui sont les moins bien loties sous ce rapport ». Également, « […] les plus pauvres subiront de manière disproportionnée les conséquences de l’évolution des phénomènes climatiques extrêmes ».

Le quatrième rapport d’évaluation du GIEC est publié en 2007. Le rapport du groupe II indique que de nombreux travaux ont été faits pour analyser les différences d’impacts du changement climatique en fonction des régions et des populations, à la fois pour le présent et le futur. Le Résumé à l’intention des décideurs indique [16] : « Plusieurs facteurs sont susceptibles d’amplifier la vulnérabilité à l’égard des changements climatiques, notamment la pauvreté, l’accès inégal aux ressources, l’insécurité alimentaire, la tendance à la mondialisation de l’économie, les conflits en cours et l’incidence de maladies telles que le VIH/SIDA, sans oublier les dangers climatiques déjà présents ». Le Résumé technique, plus développé que le RID, précise : « Dans tous les pays, les populations les plus à risque sont les pauvres en milieu urbain, les personnes âgées et les enfants, les sociétés traditionnelles, les agriculteurs de subsistance, et les populations des zones côtières ». On y trouve également la première mention d’une distinction de genre dans un résumé, signe que des travaux commencent à étudier cet aspect : « La capacité d’adaptation est inégalement répartie dans et entre les sociétés. Il y a des individus et des groupes qui, au sein des sociétés, disposent d’une capacité d’adaptation insuffisante pour s’adapter au changement climatique. Par exemple, les femmes qui travaillent au sein d’une agriculture de subsistance supportent un poids disproportionné dû aux coûts de réparation et de survie en cas de sécheresse en Afrique australe ».

Interaction climat-société, risque climatique

Avec l’essor des recherches sur le changement climatique et ses conséquences sur les populations au cours des années 90 et 2000, la complexité de l’interaction entre une société donnée et son climat est de mieux en mieux connue et comprise. Chaque région a un climat spécifique, et celui-ci fait partie des différents éléments qui ont contribué à l’évolution des sociétés qui s’y sont installées et y vivent. Cette interaction peut aller dans les deux sens, le climat local pouvant être modifié de manière plus ou moins directe et plus ou moins forte par l’influence anthropique, par exemple dans le cas d’une déforestation trop massive, qui peut provoquer un climat plus sec. Également, les sociétés ont toutes des caractéristiques bien distinctes, de taille, de gouvernance, d’organisation, de cultures, de croyances, etc., et sont composées de populations, groupes et entités divers et variés. Ainsi, lorsque le climat – spécifique, donc – d’une région change, les différents impacts ne vont pas toucher de la même manière tous les membres d’une communauté ou d’une société, en raison des nombreuses différences et inégalités qui les traversent. 

Entre le quatrième et le cinquième rapport d’évaluation du GIEC, publié en 2014, le nombre de travaux sur les impacts et l’adaptation a doublé, comme le montre la figure 1-1 du chapitre 1 du groupe II ([17] ; elle montre également les inégalités entre régions au sein de la recherche sur le changement climatique, un phénomène encore largement d’actualité [18]) : 

Il est désormais clair que le changement climatique est avant tout un catalyseur agissant sur des situations socioéconomiques déjà difficiles, et non un élément venant perturber une situation auparavant stable et paisible : « Souvent le changement climatique tend surtout à ajouter de nouvelles dimensions et complications à des défis déjà bien connus », mentionne la préface du rapport du Groupe II [19]. À partir de ce rapport, la notion de risque climatique devient centrale dans l’approche et la gestion du changement climatique. La première page du Résumé pour les décideurs présente un cadrage permettant d’analyser ce risque dû au changement climatique, qui est encore aujourd’hui celui de référence :    

Pour qu’il y ait un risque, il faut qu’il y ait un enjeu (« quelque chose ayant une valeur pour l’être humain », d’après le glossaire du GIEC [20]). Il peut être aussi bien un écosystème, une espèce, une société ou une composante de cette société (population, infrastructure, individus, etc.). Le risque climatique, pour cet enjeu, est caractérisé par la conjonction de trois éléments présentés dans la figure :
– La probabilité de survenue d’aléas climatiques (événements extrêmes, modification du cycle hydrologique, élévation du niveau marin, etc. – les travaux d’attribution permettant d’évaluer leur lien avec le changement climatique),
– Son exposition à ces aléas (la possibilité qu’il soit touché par leur survenue, par exemple le fait d’être plus ou moins proche du littoral vis-à-vis de la montée des eaux),
– Sa vulnérabilité

En changement climatique, les termes utilisés ont des définitions bien précises. Celles-ci sont présentées et mises à jour dans les glossaires des rapports du GIEC. Voici les définitions de l’exposition et de la vulnérabilité dans le glossaire du groupe II [20 – le rapport distingue et détaille plusieurs types de vulnérabilités, contextuelle, principale et résultante] : 

En revenant au schéma précédent, on comprend qu’il y a deux manières principales et complémentaires de réduire le risque dû au changement climatique : limiter la fréquence et l’intensité de survenue des aléas en limitant le réchauffement par la réduction des émissions de gaz à effet de serre (l’atténuation), et diminuer l’exposition et la vulnérabilité des enjeux (l’adaptation – il y a également plusieurs types d’adaptation, voir le glossaire [20]). 

Avec ce cadrage, il devient plus facile d’observer et comprendre comment les différences et inégalités au sein des populations interagissent avec le changement climatique. Plus une population est exposée à des aléas, et plus elle est vulnérable, plus elle est à risque. Les facteurs qui déterminent ces expositions et vulnérabilités sont nombreux et peuvent s’additionner ou s’articuler entre eux. 

Intersectionnalité et changement climatique

La première mention de l’intersectionnalité comme outil d’analyse des vulnérabilités et de l’exposition au risque climatique dans une publication du GIEC remonte au Rapport spécial sur les événements extrêmes, publié en 2012. Les rapports spéciaux sont établis durant les cycles d’évaluation, et leurs conclusions servent à l’élaboration des rapports d’évaluation. Dans le Résumé pour les décideurs du rapport [21], on retrouve une version préliminaire du cadrage du risque évoqué précédemment, ainsi que les conclusions suivantes : « L’exposition et la vulnérabilité fluctuent dans le temps et dans l’espace en fonction de paramètres économiques, sociaux, géographiques, démographiques, culturels, institutionnels, politiques et environnementaux (degré de confiance élevé). Les personnes et les populations sont plus ou moins exposées et vulnérables selon les inégalités exprimées par le niveau de richesse et d’instruction, les handicaps éventuels ou l’état de santé, ainsi que selon le sexe, l’âge, la classe et d’autres particularités sociales et culturelles ». Le lien entre les différents types d’inégalités au sein des populations et le risque climatique, au travers de l’exposition et la vulnérabilité, se précise. 

Le concept d’intersectionnalité est abordé succinctement dans le cœur du chapitre 2, dédié aux déterminants du risque, l’exposition et la vulnérabilité [22] : « […] il est important de considérer non seulement les différences entre des catégories uniques (par exemple, entre les femmes et les hommes) mais aussi les différences au sein d’une catégorie donnée (par exemple, « les femmes »). Cela fait référence à l’intersectionnalité, où, par exemple, le genre peut être une variable significative mais seulement lorsqu’il est allié à la race/ethnicité ou à une autre variable ». La suite du paragraphe donne l’exemple de l’ouragan Katrina, où des distinctions d’impacts en fonction de différentes catégories (race, âge, classe et genre) ont été observées. Le cas de Katrina fait également l’objet d’un encadré dédié au chapitre 5 du rapport [20]

En 2014, le rapport d’évaluation du groupe II va développer ces notions. Elles sont synthétisées ainsi dans le Résumé pour les décideurs [19]* : « Les différences de vulnérabilité et d’exposition résultent de facteurs de stress non climatiques et d’inégalités multidimensionnelles souvent causés par un développement inégal (degré de confiance très élevé). Ces différences déterminent les risques différentiels dus au changement climatique (voir figure RID.1 [mentionnée précédemment]). Les populations qui sont marginalisées sur le plan social, économique, culturel, politique, institutionnel ou autrement sont particulièrement vulnérables au changement climatique ainsi qu’à certaines stratégies d’adaptation et d’atténuation (éléments disponibles moyens, degré de cohérence élevé). Cette vulnérabilité accrue est rarement attribuable à une cause unique; elle est plutôt due à l’interaction de processus sociaux qui provoque l’inégalité du statut socio-économique et des revenus ainsi que du degré d’exposition. Ces processus sociaux incluent par exemple la discrimination fondée sur le sexe, la classe sociale, l’ethnie, l’âge et l’état physique ». 

Pour résumer, le risque climatique ne diffère pas seulement en fonction des impacts climatiques, de leur localisation et de leur nature (événements extrêmes, élévation du niveau marin, etc.,), mais aussi, voire surtout, en fonction des caractéristiques des populations touchées. Un même aléa climatique, par exemple, un cyclone, n’aura pas les mêmes conséquences à Bordeaux et à Hô Chi Minh-Ville, en raison des fortes différences de vulnérabilité et d’exposition des deux villes. De plus, les différentes populations qui les constituent ne seront également pas touchées de la même manière en raison de leurs expositions et vulnérabilités respectives. 

Inégalités multidimensionnelles, interaction de processus sociaux… Le mot intersectionnalité lui-même n’est pas présent directement dans le Résumé (il l’est dans le chapitre dédié), mais c’est bien une analyse intersectionnelle dont il est ici question afin d’observer les différences de vulnérabilité et d’exposition des populations au risque climatique. Car, au vu des nombreux critères, il n’est pas possible d’avoir une compréhension des phénomènes et leurs conséquences si l’on ne prend en compte que l’un d’entre eux. Dans le Résumé technique [19], un encadré entier est dédié à cette question, intitulé « Dimensions multiples de l’inégalité et de la vulnérabilité face au changement climatique ». Il est accompagné de la figure suivante, qui illustre comment l’interaction de différentes inégalités caractérise la vulnérabilité des différentes populations au risque climatique : 

Les différentes formes d’inégalités et leurs interactions déterminent le statut d’une population. Plus une population est privilégiée, plus ses capacités et possibilités d’adaptation au changement climatique sont élevées. À l’inverse, plus une population est marginalisée, plus ses capacités sont réduites, et sa vulnérabilité, multidimensionnelle, augmentée. L’encadré complet reprend le texte précédemment cité du Résumé à l’intention des décideurs, puis complète : 

« […] Pour parvenir à comprendre les différences de capacités et de possibilités entre les individus, les ménages et les communautés, il faut étudier les interactions des différents facteurs sociaux déterminants, qui peuvent se rapporter à certains contextes ou être assemblés de différentes façons (ex.: classe sociale et ethnie d’un côté et sexe et âge de l’autre). Rares sont les études qui décrivent l’ensemble du spectre des processus sociaux qui interagissent et les différentes façons suivant lesquelles ils contribuent à une vulnérabilité multidimensionnelle au changement climatique. »

Cela illustre la complexité et la difficulté d’analyser comment les différents déterminants socio-économiques formant les inégalités interagissent entre eux et ainsi, modifient le risque climatique encouru par la population étudiée. C’est tout l’enjeu et l’intérêt de l’approche intersectionnelle. La suite de l’encadré donne plusieurs exemples tirés du rapport complet (les mentions entre crochets correspondent aux chapitres du rapport détaillant ces différents exemples, où l’on pourra retrouver les études sources) :

La figure de l’encadré provient du chapitre 13, partie 13.2.1.5. « Multidimensional Inequality and Vulnerability », qui détaille plusieurs des exemples présentés ci-dessus [23]. On y trouve également un autre encadré très complet dédié aux inégalités de genre en changement climatique (Box 13-1, «  Climate and Gender Inequality: Complex and Intersecting Power Relations »). Voici un extrait avec le premier paragraphe, illustrant l’absolue nécessité d’une approche intersectionnelle et la quantité d’ores et déjà élevée d’études publiées à l’époque sur ces questions (le GIEC évalue ainsi comme «  robuste » le niveau de preuve [17, Box 1-1]) :  

Le Rapport spécial sur le changement climatique et les terres émergées, publié en 2019, réaffirme l’intérêt de cette approche dans la recherche sur les impacts du changement climatique sur les populations [24]. On retrouve cela dans le chapitre 1 (section 1.4.2 « Gender agency as a critical factor in climate and land sustainability outcomes »), et au chapitre 7, dans l’encadré inter-chapitres 11 :

Comme on peut le voir dans les références de l’extrait ci-dessus, plusieurs travaux traitant de ces questions ont été publiés ces dernières années. Depuis un article « fondateur » publié en 2014 et faisant une première synthèse de l’approche intersectionnelle en changement climatique [25], les travaux utilisant explicitement l’intersectionnalité pour étudier des cas concrets, ou bien décrivant ses apports dans l’analyse des impacts du changement climatique, ont été de plus en plus nombreux [26][27][28][29][30][31][Liste non exhaustive : 32]. Le prochain rapport du groupe II du GIEC, qui devrait être publié fin février 2022, évaluera et synthétisera ces dernières publications [33]

En France, un climat d’inégalités et d’injustice climatique

Malgré l’idéal républicain égalitaire et universaliste français, le pays n’échappe pas aux inégalités et discriminations [34]. Au niveau du changement climatique, l’association Notre Affaire à Tous effectue une revue de presse détaillée sur les inégalités climatiques, en France et dans le monde [35]. En décembre 2020, l’organisation a publié un rapport complet sur le sujet, intitulé « Un climat d’inégalités » [36]. Y sont présentées et analysées les vulnérabilités des différentes catégories de population en France : classes sociales, populations racisées (minorités ethniques et peuples autochtones), âge, genre, ainsi que les inégalités territoriales.  

Le rapport présente d’autres formes d’inégalités environnementales que les inégalités d’exposition et de vulnérabilité définissant le risque climatique. Il y a des inégalités d’accès à la nature, des inégalités dans les impacts faits à l’environnement, des inégalités dans l’accès à la décision et enfin des inégalités « induites par les politiques climatiques qui interviennent lorsque les actions d’atténuation ou d’adaptation amplifient les inégalités sociales ». Ces différentes formes d’inégalités peuvent toutes être analysées en fonction de leurs déterminants sociologiques, c’est-à-dire selon une approche intersectionnelle. La vision d’ensemble de ces différentes inégalités décrit une injustice climatique criante : les catégories sociales les plus aisées sont les plus émettrices de gaz à effet de serre, tandis que les catégories sociales les plus défavorisées sont les plus vulnérables aux impacts et sont les plus touchées par les mesures fiscales mises en place. 

L’approche intersectionnelle des déterminants de ces différentes formes d’inégalités pourrait permettre, notamment dans le cas des inégalités dues à la mise en place de politiques climatiques, d’orienter la décision politique en vue d’effectuer une « transition juste », l’un des objectifs de la Stratégie Nationale Bas-Carbone [37], dont le Haut Conseil pour le Climat a tenté de définir les contours dans son rapport annuel de 2020 [38]. Le National Adaptation Plan (NAP) Global Network, une entité mise en place en 2010 par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et chargée de promouvoir la mise en place de plans nationaux d’adaptation, insiste sur l’importance d’avoir une approche intersectionnelle dans l’élaboration de ces plans [39] :

« Les facteurs intersectionnels, tels que l’âge, la race, l’origine ethnique et l’orientation sexuelle, doivent être pris en compte dans les NAP [plans nationaux d’adaptation] car ils influent sur la manière dont les personnes sont vulnérables au changement climatique et, par conséquent, sur leurs besoins d’adaptation. En se penchant sur les obstacles particuliers auxquels les personnes sont confrontées et en examinant comment ils exacerbent leur vulnérabilité au changement climatique, les PAN peuvent réduire les risques climatiques pour les personnes les plus vulnérables tout en s’attaquant aux inégalités systémiques. »

Également, dans son rapport annuel de 2020, le Haut Conseil pour le Climat plaide pour « une attention accrue aux inégalités » [38]. Cette partie reprend le schéma du risque climatique du GIEC et fait le lien entre politiques climatiques, inégalités multidimensionnelles et impacts du changement climatique* : 

« Les conséquences sociales des politiques climatiques fondées sur le principe pollueur-payeur tiennent moins à leur type (taxe, norme ou subvention) qu’à leur caractère unidimensionnel : les dispositifs sont adossés aux émissions de GES. Ils laissent donc de côté les caractéristiques des populations, acteurs ou territoires, alors que celles-ci ont des effets majeurs sur les vulnérabilités aux impacts du changement climatique. Ils ne sont donc pas en mesure d’anticiper les réactions des acteurs aux effets inégalitaires des politiques d’atténuation. 

Appuyer la répartition des efforts et coûts de la transition sur la seule prise en compte des émissions n’inclut pas les causes structurelles de certaines émissions ou les effets négatifs qui vont frapper ceux qui sont déjà les plus vulnérables aux impacts du changement climatique. Cette vulnérabilité recoupe en partie les inégalités intersectionnelles, c’est-à-dire le cumul structurel des inégalités au sein des populations et entre populations plus ou moins développées économiquement. Cette seule prise en compte des émissions se révèle rapidement inéquitable. De plus, elle est possiblement inefficace compte tenu des contraintes qui pèsent sur les populations et les entreprises. 

Les liens causaux entre inégalités et vulnérabilité au changement climatique sont avérés. Les inégalités, quelle que soit leur nature (revenu, genre, âge, structure familiale, etc.) expliquent en partie les différentiels d’exposition et de sensibilité aux dommages, ainsi que les inégales capacités individuelles et collectives à y faire face. 

En outre, le changement climatique risque de créer de nouvelles inégalités. Il exacerbe déjà (et risque d’exacerber encore davantage) certaines inégalités existantes. Pour ces raisons, la réduction des inégalités doit pleinement entrer dans le champ des politiques climatiques, comme en témoignent les chapitres 3 et 5 du rapport spécial du GIEC de 2018, renforcé par les rapports spéciaux de 2019 sur les terres émergées (SRCCL) et sur les océans et la cryosphère (SCROCC). Cette prise en compte est d’autant plus indispensable que les changements à long terme sont inéluctables et que l’augmentation des inégalités intergénérationnelles en découle mécaniquement. 

Le Haut conseil pour le climat souligne par conséquent le fait que, si la transition bas-carbone n’a pas vocation – et encore moins la capacité – à répondre à toutes les questions d’inégalités et de justice qui se posent au sein de la société française, la prise en compte de ces inégalités est déterminante pour construire une transition juste. »

Conclusion : un cadre pertinent, pour l’adaptation comme l’atténuation

Ce qui ressort de ces travaux et des différentes conclusions des rapports du GIEC ou du Haut Conseil pour le Climat, c’est que l’intersectionnalité n’est pas un simple outil d’analyse qui s’avère utile dans l’étude des impacts du changement climatique sur les populations. En raison de la façon dont le changement climatique interagit avec les sociétés, et des différentes structures et organisations des sociétés, une approche intersectionnelle, tenant compte de la diversité des populations et des impacts, est intrinsèquement nécessaire pour appréhender la complexité de ces interactions. 

À noter que, dans cet article, nous nous sommes concentrés sur les approches intersectionnelles des impacts du changement climatique, sans rentrer précisément dans le détail des résultats des études publiées – ce sera pour une autre fois, probablement à l’occasion de la sortie du rapport du groupe II du GIEC dans le cadre de l’AR6. La littérature scientifique sur ces questions est d’ores et déjà assez importante, comme mentionné dans les sources [25] à [32]. Également, nous avons mis de côté les – très – nombreux articles de recherche étudiant les inégalités climatiques au prisme d’un déterminant particulier. Par exemple, pour donner un ordre d’idée, l’excellent média Carbon Brief a publié en 2020 une synthèse des travaux étudiant les différences d’impacts du changement climatique entre hommes et femmes au niveau de la santé. Cette cartographie a repris les résultats de pas moins de 130 études. Parmi elles, 89 montraient des impacts plus importants chez les femmes [40]. D’autres déterminants restent cependant peu traités, comme le handicap [41].

Rendez-vous en février et mars 2022 pour les publications des rapports des groupes II et III du GIEC dans le cadre du sixième cycle d’évaluation, afin d’avoir la synthèse des nombreux travaux récents. Nul doute qu’il y aura de nombreux éléments à découvrir, comprendre et analyser, et que l’approche intersectionnelle des impacts du changement climatique sera à nouveau plus approfondie. La littérature scientifique est désormais très complète concernant les impacts du changement climatique passés et actuels, cependant, il y a encore du travail concernant les projections futures ainsi que les politiques climatiques, afin d’identifier les leviers susceptibles de permettre à la fois une réduction des émissions de gaz à effet de serre et des inégalités. 

Il y a également du travail pour que les connaissances scientifiques que nous venons de voir, pourtant présentes jusque dans les Résumés pour les décideurs des rapports du GIEC depuis des années, soient connues et reconnues au-delà des sphères des chercheur.es spécialisé.es sur ces questions, et de quelques militant.es comme les membres de l’association Notre Affaire à Tous. La vulgarisation scientifique et la communication sur le changement climatique restent encore bien trop cantonnées au seul « climat » et aux conclusions du groupe I, tout en réduisant généralement l’atténuation au prisme techniciste énergétique. Or, le changement climatique, c’est avant tout une histoire de sociétés qui agissent de manière différenciée sur leur climat, climat qui les impacte ensuite de manière différenciée, avec des conséquences différenciées sur les populations en fonction de leurs caractéristiques. Cela pose d’importantes questions « d’équité et de justice », comme le mentionnait le Résumé du cinquième rapport d’évaluation du GIEC [42]. Comprendre cela, ainsi que les différents déterminants, tout comme la complexité des interactions et phénomènes, est tout aussi important que le nombre de grammes de CO2 émis par kilowattheure pour tel ou tel mode de production d’électricité. 

Merci à Emma Novel, Pauline Smith et Paul Mauger pour leurs relectures attentives.

*Mentions soulignées en gras provenant du document d’origine.

Sources et références

Introduction 
[1] Source : https://twitter.com/meyber69/status/1424731046491348997
[2] IPCC AR6 WGI : https://www.ipcc.ch/assessment-report/ar6/
[3] Criminels climatiques. Enquête sur les multinationales qui brûlent notre planète, Mickaël Correia, 2022 : https://www.editionsladecouverte.fr/criminels_climatiques-9782348046773
[4] BFM BusinLe duel des critiques: Mickaël Correia vs Frédéric Charillon, émission La librairie de l’éco, présentée par Emmanuel Lechypre – 21/01 : https://www.bfmtv.com/economie/replay-emissions/la-librairie-de-l-eco/le-duel-des-critiques-mickael-correia-vs-frederic-charillon-21-01_VN-202201210532.html

Intersectionnalité et sciences humaines et sociales
[5] Pour une définition de la notion de personne racisée : https://liguedesdroits.ca/lexique/personne-racisee-ou-racialisee/ ; définition du Robert : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/racise
[6] Sur l’utilisation du concept de racialisation en sciences humaines et sociales, le dossier en trois parties de La Vie des Idées, Polémiques et controverses autour de la question raciale : https://laviedesidees.fr/Polemiques-et-controverses-autour-de-la-question-raciale.html
[7] Ne nous libérez pas, on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours, Bibia Pavard, Florence Rochefort, Michelle Zancarini-Fournel, 2020 : https://www.editionsladecouverte.fr/ne_nous_liberez_pas_on_s_en_charge-9782348055614
[8] L’Intersectionnalité : enjeux théoriques et politiques, Farinaz Fassa, Eléonore Lépinard, Marta Roca i Escoda (2016) : https://ladispute.fr/catalogue/lintersectionnalite-enjeux-theoriques-et-politiques/
[9] Mouvements, des idées et des luttes, dossier intersectionnalité : https://mouvements.info/intersectionnalite/
[10] Pour l’intersectionnalité, Eléonore Lépinard et Sarah Mazouz : https://anamosa.fr/livre/pour-lintersectionnalite/
[11] Politikon, C’est quoi l’intersectionnalité ? Capsule #14 : https://www.youtube.com/watch?v=Kf1a25mKNHw
[12] Game of Hearth, FÉMINISME – Universalisme Vs. Intersectionnalité : https://www.youtube.com/watch?v=NEaoPZaWaBY

Impacts du changement climatique sur les populations : historique
[13] Le rôle, le fonctionnement et la méthodologie du GIEC sont détaillés dans la vidéo du Réveilleur, Comprendre le GIEC et ses rapports : https://www.youtube.com/watch?v=C_UTlTiVQ_0
[14] GIEC Deuxième rapport d’évaluation, Changements climatiques 1995, 3.3 : “Les changements climatiques d’origine humaine représentent une contrainte supplémentaire notable, surtout pour les nombreux écosystèmes et systèmes socio-économiques déjà touchés par la pollution, l’exigence croissante de ressources et les pratiques de gestion non durable. La vulnérabilité des systèmes sanitaires et socioéconomiques – et, dans une moindre mesure, des écosystèmes – dépend des conditions économiques et de l’infrastructure institutionnelle. Il s’ensuit qu’en général, les systèmes sont plus vulnérables dans les pays en voie de développement, où les conditions économiques et institutionnelles sont moins favorables.”
[15] GIEC Bilan 2001 des changements climatiques : Conséquences, adaptation et vulnérabilité ; Résumés du Groupe de travail II : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/wg2sumfrench.pdf
[16] GIEC Bilan 2007 des changements climatiques : Conséquences, adaptation et vulnérabilité ; Résumés du Groupe de travail II : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2020/02/ar4-wg2-sum-vol-fr.pdf

Interaction climat-société, risque climatique
[17] GIEC 2014 AR5 WGII Chapter 1, Point of departure : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/WGIIAR5-Chap1_FINAL.pdf
[18] Carbon Brief, Analysis: The lack of diversity in climate-science research, 2021: https://www.carbonbrief.org/analysis-the-lack-of-diversity-in-climate-science-research
[19] GIEC Changements climatiques 2014, Incidences, adaptation et vulnérabilité ; contribution du groupe II, Résumés, foire aux questions et encarts thématiques : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/WGIIAR5-IntegrationBrochure_fr-1.pdf
[20] GIEC 2014 AR5 WGII Glossary FR : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/AR5_WGII_glossary_FR.pdf

Intersectionnalité et changement climatique
[21] GIEC 2012 Rapport spécial sur la gestion des risques de catastrophes et de phénomènes extrêmes pour les besoins de l’adaptation au changement climatique, RID FR : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/IPCC_SREX_FR_web-1.pdf
[22] GIEC 2012 Special Report Managing the Risks of Extreme Events and Disasters to Advance Climate Change Adaptation ; partie 2.5.4.1.,« Intersectionality and other dimensions » ; « Box 5-6 Race, Class, Age, and Gender: Hurricane Katrina Recovery and Reconstruction ») : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/SREX_Full_Report-1.pdf
[23] GIEC 2014 AR5 WGII Chapter 13, livelihood and poverty: https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/WGIIAR5-Chap13_FINAL.pdf
[24] GIEC 2019 Special Report on climate change, desertification, land degradation, sustainable land management, food security, and greenhouse gas fluxes in terrestrial ecosystems : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2019/11/SRCCL-Full-Report-Compiled-191128.pdf
[25] Kaijser and Kronsell (2014), Climate change through the lens of intersectionality : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09644016.2013.835203
[26] 2014, Andrea J. Nightingale, A socionature approach to adaptation: political transition, intersectionality, and climate change programmes in Nepal : https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315774657-19/socionature-approach-adaptation-political-transition-intersectionality-climate-change-programmes-nepal-andrea-nightingale
[27] 2017 Noémi Gonda, Revealing the patriarchal sides of climate change adaptation through intersectionality A case study from Nicaragua : https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315661605-11/revealing-patriarchal-sides-climate-change-adaptation-intersectionality-no%C3%A9mi-gonda
[28] 2017, Mungai et al., Uptake of Climate-Smart Agriculture Through a Gendered Intersectionality Lens: Experiences from Western Kenya : https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-49520-0_36
[29] 2019 Hanson Nyantakyi-Frimpong, Unmasking difference: intersectionality and smallholder farmers’ vulnerability to climate extremes in Northern Ghana : https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/0966369X.2019.1693344
[30] 2020 Walker et al., Applying intersectionality to climate hazards: a theoretically informed study of wildfire in northern Saskatchewan : https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14693062.2020.1824892
[31] 2021, Singleton et al., Intersectionality and climate policy-making: The inclusion of social difference by three Swedish government agencies : https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/23996544211005778
[32] Liste non exhaustive ; google.scholar “climate change intersectionality”, 2014-2021 : https://scholar.google.fr/scholar?q=climate+change+intersectionality&hl=fr&as_sdt=0%2C9&as_ylo=2014&as_yhi=2021
[33] IPCC AR6 WGII : https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-ii/

En France, un climat d’inégalités et d’injustice climatique
[34] Observatoire des inégalités, rapport 2021 : https://www.inegalites.fr/Rapport-sur-les-inegalites-en-France-edition-2021
[35] Revue de presse IMPACTS, Notre Affaire à Tous : https://notreaffaireatous.org/actions/impacts-la-revue-de-presse-des-inegalites-climatiques/
[36] Notre Affaire à Tous, Un climat d’inégalités, les impacts inégaux du changement climatique en France : https://notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2020/12/InegalitesClimatiques_rapport.pdf
[37] Ministère de la transition écologique, SNBC : https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc
[38] Haut Conseil pour le Climat (HCC), Rapport annuel 2020, partie 4.1 “Agir pour une transition juste” : https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2020/07/20210330_hcc_rapports_annuel-2020.pdf
[39] NAP Global Network, Why Gender Matters for Effective Adaptation to Climate Change : https://napglobalnetwork.org/2021/08/gender-effective-adaptation-climate-change/

Conclusion : un cadre pertinent, pour l’adaptation comme l’atténuation
[40] Carbon Brief, Mapped: How climate change disproportionately affects women’s health, 2020 : https://www.carbonbrief.org/mapped-how-climate-change-disproportionately-affects-womens-health
[41] Le Climatoscope, Les personnes handicapées dans le contexte de la crise climatique, 2021 : https://climatoscope.ca/article/les-personnes-handicapees-dans-le-contexte-de-la-crise-climatique/
[42] AR5 SYR SPM FR : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/SYR_AR5_FINAL_full_fr.pdf

Inertie du climat, ou inertie des sociétés ?

Loïc Giaccone – 30 novembre 2021

Le climat est un système complexe, avec une inertie importante. La connaissance et la compréhension de cette inertie, ou plutôt, des différentes inerties de ce système, sont capitales dans un contexte de changement climatique. En effet, en fonction de la réaction du climat et de ses composantes, les mesures nécessaires pour faire face au risque climatique [1], aussi bien pour l’atténuation des émissions que pour l’adaptation aux impacts futurs, ne sont pas les mêmes. Dans cet article, nous reviendrons sur l’histoire des connaissances autour de ce qu’on appelle l’inertie du climat et ses différentes définitions, en nous appuyant sur les rapports d’évaluation et les rapports spéciaux du GIEC. Tout au long de cette chronologie, nous observerons comment ces éléments scientifiques et la gouvernance climatique, en particulier la définition des objectifs climatiques, se sont influencés mutuellement, au fil des années. Dans une dernière partie, nous distinguerons l’inertie climatique, strictement géophysique, de l’inertie sociétale, qui joue également un rôle capital dans la stabilisation du climat. Pour les plus pressé.es d’entre vous, vous trouverez une synthèse des dernières connaissances dans la première partie de l’article.

Sommaire :

Notions climatiques et résumé des connaissances actuelles

1990, 1992 : premier rapport du GIEC et mise en place de la gouvernance climatique

1995, 2001 : inerties des composantes du système climatique, stabilisation des concentrations et baisse des émissions

2007, quatrième rapport : changements climatiques « engagés » et « inertiels »

2013, cinquième rapport : différentes inerties, arrêt des émissions, budgets carbone, réactions à long terme

2015 : Accord de Paris, neutralité carbone, 1,5 °C

2018, rapport spécial 1.5 : trajectoires à +1,5 °C, inerties des différents forçages

2021, rapport du groupe I : Zero Emissions Commitment, divergence entre scénarios, atteinte des seuils de température

Inertie des sociétés

Seuils et incertitudes

Conclusion

Notes, sources et références

Notions climatiques et résumé des connaissances actuelles

Pour pouvoir appréhender l’inertie du climat, il est nécessaire de bien comprendre et distinguer les principaux éléments de la chaîne de causalité du changement climatique. Les activités humaines émettent dans l’atmosphère des gaz à effet de serre, dioxyde de carbone (CO2) et méthane (CH4) essentiellement, à effet réchauffant, et des aérosols, à effet globalement refroidissant. Ces émissions (les flux entrants) font varier les concentrations atmosphériques de ces différents composés (les stocks), en fonction de leurs caractéristiques : durée de vie, absorptions par des puits naturels, etc (les flux sortants). Certains composés ont une durée de vie assez courte (aérosols notamment), d’autres, comme le CO2, bien plus longue. Arrêtons-nous un instant sur le cas du CO2, important à comprendre pour la suite. Au cours de la décennie 2011-2020 [2], la moitié des émissions de CO2 anthropiques a été absorbée par les puits naturels que sont la végétation et les océans, tandis que l’autre moitié s’est accumulée dans l’atmosphère, faisant augmenter la concentration. Cette part restante des émissions, importante, mettra beaucoup plus de temps à être absorbée, et perdurera dans l’atmosphère pendant des siècles : une FAQ du cinquième rapport du GIEC [3] indiquait « qu’au bout de 2 000 ans, l’atmosphère renferme encore 15 à 40 % des rejets initiaux de CO2 ». 

L’ensemble de ces perturbations atmosphériques, auxquelles s’ajoutent des modifications de l’albédo [4], provoquent ce que l’on appelle un forçage radiatif positif, modifiant le bilan énergétique planétaire. Cela signifie que le système emmagasine plus d’énergie. Les océans absorbent une majeure partie de ce surplus énergétique et se réchauffent très lentement, tandis que le reste réchauffe les terres, fait fondre les glaciers et calottes glaciaires et, enfin, réchauffe l’atmosphère. Le CO2 ayant un rôle prépondérant dans le réchauffement, en particulier à long terme, ce sont ses émissions cumulées qui dirigent la hausse de la température. La figure ci-dessous, provenant du quatrième rapport d’évaluation du GIEC [5], représente de manière simplifiée l’intégration de cette causalité dans un modèle climatique pour un scénario donné, avec les rétroactions du cycle du carbone (flèche du haut) et les incertitudes (plage de valeurs possibles) schématisées. Les courbes représentent successivement les émissions, les concentrations, le forçage radiatif et, enfin, la température :

Figure 10.1 du chapitre 10 quatrième rapport d’évaluation du groupe I du GIEC (2007), illustrant pour un scénario donné les étapes de la modélisation de la réponse du climat

Cet article étant assez long, voici un résumé des dernières connaissances scientifiques sur le sujet de l’inertie du climat, établi à partir des éléments de deux rapports récents du GIEC, le rapport spécial 1.5 de 2018 et le rapport du groupe I d’août 2021. Les sources précises des différents passages de ces rapports se trouvent dans les parties dédiées de l’article. 

Les différentes composantes du système climatique (qui comprend l’atmosphère, les océans, la cryosphère et la biosphère, ainsi que leurs interactions, comme le cycle du carbone [6]) réagissent de manières différentes à des changements des forçages tels que mentionnés précédemment. Certaines de ces composantes, en particulier l’océan et les calottes glaciaires, réagissent sur des temporalités très longues, avant de parvenir à un nouvel équilibre. Ainsi, les océans continueront de se réchauffer et s’acidifier pendant des siècles, voire des millénaires, tandis que les glaciers et calottes glaciaires vont continuer de fondre pendant des décennies, voire des siècles. 

Dans le cas du changement climatique d’origine anthropique, les différents forçages évoluent et agissent différemment, que ce soit au niveau de leur potentiel de réchauffement ou de refroidissement, et de leur durée de vie dans l’atmosphère. Le CO2 cumulé est, cependant, le principal responsable du réchauffement passé, ainsi que du réchauffement potentiel futur [7]

Même avec un arrêt complet des émissions de CO2, ou bien en arrivant à des émissions nettes égales à zéro (ce qui est, « climatiquement », la même chose [8]), la température ne reviendra pas au niveau de l’ère préindustrielle. En revanche, elle se stabilisera assez rapidement. Cette stabilisation est sujette à plusieurs incertitudes, dépendant de l’évolution des autres forçages et du niveau d’émissions auquel elle a lieu. 

Même si la température est stabilisée, de nombreux changements géophysiques aux impacts potentiellement élevés se poursuivront, en particulier la hausse du niveau marin, en raison de la dilatation thermique des océans et de l’éventuelle fonte enclenchée des calottes glaciaires (l’ampleur de cette hausse dépend du niveau de stabilisation de la température, c’est-à-dire du scénario futur qui sera suivi).

Il y a également une inertie sociétale, due au temps nécessaire pour arriver à des émissions de CO2 nettes égales à zéro (ou neutralité carbone). En effet, l’arrêt complet des émissions ne peut malheureusement pas avoir lieu immédiatement. Dans les scénarios de réduction importante des émissions visant une limitation de l’élévation de la température à environ +1,5 °C en 2100, cette neutralité carbone est atteinte aux alentours de 2050. Cela signifie qu’il y a toujours des émissions durant les trois prochaines décennies, bien qu’en forte baisse. Ce n’est qu’une fois la neutralité carbone atteinte que la température globale de surface se stabilisera. L’évolution des autres forçages peut faire varier ce résultat. Il est possible de distinguer une différence au niveau de l’évolution de la température mondiale entre deux scénarios d’émissions divergents après une vingtaine d’années, en raison de la variabilité naturelle du climat qui masque la réponse progressive de la température. Cette variabilité peut spontanément soit amplifier, soit atténuer, les effets des activités humaines.  

1990, 1992 : premier rapport du GIEC et mise en place de la gouvernance climatique

L’étude du changement climatique, et donc de l’inertie du climat, s’est développée et a évolué dans le contexte particulier de la prise de conscience et de la tentative de gestion du problème par les États et les instances internationales. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été créé en 1988 dans le but de synthétiser les connaissances scientifiques sur le sujet, afin d’éclairer les décisions politiques. Son mandat est d’être politiquement pertinent, mais non prescriptif [9]

A l’époque, les connaissances sur le climat et le changement climatique sont bien moins conséquentes et robustes qu’aujourd’hui, avec des modèles bien plus simples. Il était cependant clair, grâce au premier rapport d’évaluation du GIEC de 1990 [10], qu’il y avait un problème, et qu’il risquait de s’intensifier si les émissions se poursuivaient et, surtout, continuaient d’augmenter. Cette première synthèse des connaissances a permis d’informer les Parties réunies lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, en 1992. La gouvernance climatique s’est mise en place lors de cet événement, sous l’égide de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC [11]), adoptée par les États.

Ce traité international établit un « objectif ultime » qui est de « stabiliser […] les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » [12]. La notion de ce qui définit une « perturbation anthropique dangereuse » a occupé un grand nombre de débats durant les COP annuelles, dont l’objet est la mise en place et le suivi de la Convention, puisque de cette définition dépend l’objectif climatique poursuivi. Ce qui nous intéresse ici est cependant la mention d’une première idée d’objectif climatique : la stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre. 

Comme l’ont expliqué Amy Dahan et Stefan Aykut dans « Gouverner le climat ? » [13], les connaissances scientifiques sur le changement climatique et, par conséquent, les conclusions des rapports du GIEC, sont le résultat d’une « coproduction » entre commande politique et recherche scientifique. Cela explique en partie pourquoi les travaux de l’époque se sont concentrés sur les conséquences climatiques d’une stabilisation des concentrations, à différents niveaux. Une seconde explication concerne les capacités des modèles climatiques, qui permettent de simuler les réactions possibles du climat à des changements des forçages. Durant les années 90 et jusqu’au début des années 2000, ils n’intègrent pas encore le cycle du carbone avec la réaction des puits naturels, qui permet de transformer des trajectoires d’émissions en concentrations [14]. La donnée des concentrations de gaz à effet de serre en  entrée de ces modèles était donc nécessaire pour effectuer des simulations. 

1995, 2001 : inerties des composantes du système climatique, stabilisation des concentrations et baisse des émissions

Les premiers rapports d’évaluation du GIEC présentent ainsi deux types de projections climatiques : des scénarios sans politiques climatiques avec différentes hypothèses de développement socio-économique et technologique, et des trajectoires de stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre, généralement du seul CO2, à différents niveaux. Les scénarios servent à estimer quels sont les futurs climats possibles sans intervention politique, les trajectoires de stabilisation à évaluer la réaction du climat et les impacts potentiels selon le niveau de stabilisation visé, comme mentionné dans l’objectif de la Convention. Pour ces différentes trajectoires de stabilisation des concentrations de CO2, sont données les trajectoires correspondantes des émissions. Celles-ci plafonnent, puis baissent, plus ou moins haut et plus ou moins fortement en fonction du niveau de concentration visé, mais ne descendent cependant pas à zéro : pour avoir une concentration stable, il y a toujours des émissions, égales à l’action des puits de carbone naturels, océaniques et terrestres [15], qu’elles provoquent [16]

Le second rapport d’évaluation du GIEC, publié en 1995, présente différents profils de stabilisation de la concentration de CO2 à long terme (jusqu’en l’an 2375 [17]), et mentionne : « La stabilisation de la concentration de gaz à effet de serre ne signifie pas pour autant que le climat cesserait d’évoluer. Après cette stabilisation, la température moyenne globale à la surface continuerait d’augmenter pendant quelques centaines d’années et le niveau de la mer de s’élever pendant beaucoup de centaines d’années ». Nous avons ici à la fois une première idée de l’inertie du système climatique, et du fait que la stabilisation de la concentration n’est pas suffisante pour enrayer le réchauffement. 

Au sein de la gouvernance climatique, avec les apports de ces connaissances, les débats se concentrent sur le niveau de stabilisation des concentrations qu’il faut fixer pour respecter l’objectif ultime de la Convention. En attendant de statuer, au vu du niveau des émissions de l’époque et des scénarios envisagés, il est évident qu’il va falloir enrayer la hausse des émissions, voire, les baisser franchement. Le protocole de Kyoto, signé en 1997 mais mis en place en 2005 seulement, établit alors comme objectif un pourcentage de réductions des émissions de gaz à effet de serre pour un ensemble de pays, les plus développés [18].

Dans le Résumé à l’intention des décideurs du troisième rapport d’évaluation du GIEC, publié en 2001, une partie est dédiée à « l’inertie […] des systèmes climatiques, écologiques et des secteurs socio-économiques » [19]. L’inertie des systèmes climatiques, telle que décrite dans cette section, peut être de deux sortes : des changements climatiques anthropiques qui « ne deviendront apparents que lentement », tandis que d’autres « peuvent être irréversibles si le rythme et l’ampleur des changements climatiques ne sont pas limités avant le dépassement de seuils associés dont la position peut être mal connue ». 

Il est rappelé dans cette section que la stabilisation des émissions de CO2 à leur niveau de l’époque (début des années 2000) n’entraînera pas de stabilisation de la concentration, qui continuerait d’augmenter. Les conclusions du rapport précédent sont confirmées et détaillées pour ce qui concerne la poursuite de l’élévation de la température et surtout, du niveau des mers, même en cas de stabilisation de la concentration. La figure RID-5, ci-dessous, illustre de manière schématique ces différentes réactions à long terme de la température et de l’élévation du niveau de la mer en fonction d’une trajectoire idéalisée des émissions, menant à une concentration constante : 

Rapport de synthèse du troisième rapport d’évaluation du GIEC, 2001, figure RID-5 représentant de manière schématique les différentes réactions du climat à la stabilisation de la concentration en CO2

L’élévation du niveau des mers est due à deux facteurs, la dilatation thermique (l’eau chaude ayant un volume plus élevé) et la fonte des glaciers et calottes glaciaires. Cette partie dédiée à l’inertie et au « risque d’irréversibilité » conclut que l’adaptation est « inévitable et déjà indispensable dans certains cas », et que des mesures anticipatoires d’adaptation et d’atténuation sont nécessaires. 

La partie suivante du Résumé présente des trajectoires d’émissions et de concentrations de CO2, ainsi que leurs conséquences sur la température globale. Les « profils WRE » (en couleurs) représentent différents niveaux de stabilisation de la concentration en CO2 (les « profils S », en pointillés, sont ceux du rapport précédent), auxquels sont comparés trois scénarios SRES (A2, A1B et B1, en noir, RSSE en français), des scénarios avec différents développements socio-économiques, sans politiques climatiques [20]

Rapport de synthèse du troisième rapport d’évaluation du GIEC, 2001, figure RID-6 montrant les trajectoires d’émissions nécessaires pour différents niveaux de stabilisation de la concentration en CO2, comparées à des scénarios socio-économiques (RSSE/SRES)

On peut faire plusieurs observations sur ces graphiques : la plupart des niveaux de concentrations étudiés permettent la poursuite des émissions pendant des décennies, voire des siècles (avec tout de même, un plafonnement, puis une baisse, sans descendre complètement à zéro) ; les températures continuent d’augmenter suite à la stabilisation de la concentration, jusqu’à des niveaux élevés (la hausse de la température étant donnée par rapport au début du XXIème siècle) ; il y a une incertitude importante sur les températures obtenues. 

Le rapport du groupe I, dédié aux éléments physiques du climat, donne une explication à la poursuite du réchauffement : « En raison de la lenteur des réactions en milieu océanique, la température moyenne mondiale continuera d’augmenter pendant des siècles au rythme de quelques dixièmes de degré par siècle après la stabilisation des concentrations de CO2 » [21]. Les océans mettant plus de temps à se réchauffer, surtout en profondeur, il faut des siècles pour que le nouvel équilibre se fasse, si les concentrations restent au même niveau. Le résumé indique que, même avec une stabilisation de la concentration (y compris au niveau de l’époque de la publication du rapport), le niveau des mers continuera de monter « pendant des siècles », tandis qu’il y aura une diminution importante de la masse des glaciers, et que les calottes glaciaires continueront de réagir « pendant plusieurs milliers d’années », avec un risque de « fonte quasi totale » du Groenland, qui équivaut à une élévation de 7 m du niveau des mers. 

2007, quatrième rapport : changements climatiques « engagés » et « inertiels »

Au fil des rapports, la quantité de connaissances sur le climat augmente de manière quasi exponentielle [22]. Lors de la publication du quatrième rapport d’évaluation du groupe I dédié aux éléments physiques du climat, en 2007, le Résumé à l’intention des décideurs réaffirme que le réchauffement et l’élévation du niveau de la mer continueraient « pendant des siècles », même si les concentrations étaient stabilisées. Un encadré est spécifiquement dédié à la question de l’inertie climatique [23]. Il nomme « réchauffement engagé » (« committed warming ») la hausse de la température qui se poursuit après la stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre, due à « l’inertie thermique des océans ». L’encadré distingue l’inertie de la couche inférieure de l’atmosphère, la troposphère (courte, de l’échelle du mois), celle des couches supérieures océaniques (plusieurs années à plusieurs décennies), et celle des couches profondes océaniques et des calottes glaciaires (plusieurs siècles à plusieurs millénaires). 

Ce « réchauffement engagé » lors de stabilisations des concentrations est illustré dans la figure RT.32, qui montre des simulations d’augmentation de la température pour trois scénarios d’émissions de l’époque (SRES, RSSE en français [20][24]), ainsi que des simulations à « composition constante » de l’atmosphère (en 2000 et pour le XXIème siècle – en orange -, et après 2100, prolongeant deux scénarios jusqu’en 2300 – en bleu et vert -) : 

Résumé technique du quatrième rapport d’évaluation du groupe I du GIEC, 2007, figure RT.32 représentant la réaction du climat à des forçages constants (à partir de 2000 en orange, après 2100 en vert et bleu)

Le rapport indique que « Les changements climatiques engagés, après stabilisation du forçage radiatif, sont estimés à 0,5 à 0,6°C et la plus grande part d’entre eux se produiront au cours du siècle suivant ». En raison de l’inertie des océans qui absorbent une grande partie de l’énergie emmagasinée dans le système climatique, en particulier celle des couches profondes, à un niveau constant de concentrations et de forçage radiatif, le climat continue donc de se réchauffer « tant que le déséquilibre radiatif persistera et jusqu’à ce que toutes les composantes du système climatique se soient ajustées à ce nouvel état » [25]

Grâce aux progrès effectués dans la modélisation climatique, notamment le couplage des modèles de climat avec des modèles de cycle du carbone [26], le rapport présente également ce qu’il décrit comme les « changements climatiques inertiels », dus aux émissions du passé. Il y est expliqué que ceux-ci « varient de façon considérable selon les agents de forçage considérés, en raison des différences entre leurs durées de vie respectives dans l’atmosphère ». La figure RT.31 montre des simulations à long terme de cinq modèles pour un arrêt soudain et total des émissions de CO2 en 2100 (graphique en haut à gauche, « Émissions de CO2 ») : 

Résumé technique du quatrième rapport d’évaluation du groupe I du GIEC, 2007, figure RT.31 représentant la réaction du climat aux émissions passées selon différents modèles, suite à un arrêt soudain des émissions de CO2 en 2100

On constate que la concentration de CO2 (en bas, à gauche « Concentration de CO2 atmosphérique ») décroît suite à l’arrêt complet des émissions, en raison de l’action des puits de carbone naturels. Cette baisse s’atténue au fil du temps, les puits se dirigeant vers un nouvel équilibre. La température semble se stabiliser (à différents niveaux, selon les modèles – en haut, au milieu « Réchauffement en surface »), puis décroitre [27]

Cette figure ne représente cependant que l’inertie pour un arrêt des émissions de CO2. Le rapport précise : « Les changements climatiques inertiels dus aux émissions du passé connaissent typiquement une phase initiale d’augmentation de la température [en raison des différences entre les agents de forçages mentionnés dans la citation précédente], suivie d’une phase de baisse à long terme tandis que le forçage radiatif baisse ». Ce sont les forçages à durée de vie courte qui agissent en premier sur la réaction de la température, en particulier les aérosols : comme ils ont un effet refroidissant, l’arrêt de leurs émissions et leur disparition rapide provoque une élévation de la température. L’étude de cette inertie théorique (comme il est impossible, sauf catastrophe planétaire, que toutes les émissions anthropiques cessent subitement) permet de déterminer la part de réchauffement « inertiel » géophysique par rapport à l’inertie « sociétale », lorsqu’on la compare à un scénario d’atténuation [28]. Nous reviendrons plus loin sur ces deux points, en nous appuyant sur des travaux plus récents.

Au niveau de la température, mais aussi dans une certaine mesure d’autres composantes comme les océans et l’élévation du niveau de la mer, il semble donc y avoir une différence notable entre l’inertie due à la stabilisation de la concentration, et celle faisant suite à un arrêt complet des émissions, du moins, de CO2 [29]. En combinant ces travaux avec les nouvelles et nombreuses connaissances sur les impacts déjà constatés, et ceux projetés pour différents niveaux de réchauffement, la gouvernance climatique s’oriente au cours des années 2000 vers un nouvel objectif climatique : un seuil de température à respecter. Le chiffre de +2 °C par rapport à l’ère préindustrielle s’impose [30]. La COP15 de Copenhague, en 2009, entérine cet objectif de +2 °C, mais échoue à mettre en place l’organisation concrète l’atteindre.

2013, cinquième rapport : différentes inerties, arrêt des émissions, budgets carbone, réactions à long terme

Le rapport du groupe I, publié en 2013 dans le cadre du cinquième rapport d’évaluation [31], confirme et détaille les éléments présentés dans les rapports précédents. Dans ce rapport, avec l’évolution conjointe de la gouvernance climatique et des travaux de recherche, la question des seuils de température prend de l’ampleur. L’axe thématique n°8 du Résumé technique [32] décrit la complexité et la subjectivité de la définition d’un tel seuil : « […] les incidences du climat sont diverses sur le plan géographique et spécifiques aux différents secteurs et aucun seuil objectif ne permet de déterminer le moment où apparaîtront des interférences dangereuses. Certains changements peuvent être retardés ou irréversibles et certaines incidences pourraient être bénéfiques. Ainsi, il n’est pas possible de définir un seul seuil objectif critique sans porter de jugement de valeur et sans poser d’hypothèses quant à la façon de présenter globalement les coûts et les avantages actuels et à venir ». Comme l’avaient bien expliqué Amy Dahan et Stefan Aykut, les seuils des objectifs climatiques sont avant tout des constructions politiques, résultats de négociations et de rapports de force illustrant ce que les sociétés s’estiment prêtes à accepter, à la fois au niveau des changements nécessaires pour atteindre ces objectifs, et des risques encourus par les impacts liés à un certain niveau de réchauffement, qu’il soit de +1,5 °C, +2 °C, ou plus encore. 

Avec ce cinquième rapport, il est désormais établi qu’il existe une relation linéaire entre les émissions cumulées de CO2 et la réponse de la température moyenne. Pour résumer, plus on émet de CO2, plus le climat se réchauffe. Si on arrête d’émettre du CO2, la température se stabilise. Cette relation permet de calculer, avec une certaine marge d’incertitude (en raison des forçages autres que le CO2 et de certaines rétroactions potentielles, comme celle du pergélisol), des budgets carbone : des quantités maximales d’émissions, pour des objectifs de température donnés, en l’occurrence + 2°C. 

Le Résumé confirme que « la plupart des caractéristiques du changement climatique persisteront pendant de nombreux siècles même si les émissions de CO2 sont arrêtées », et que l’inertie du changement climatique est « considérable », avec une grande partie du réchauffement « irréversible » sur des échelles de temps humaines. En ce sens, cela signifie que nous ne retrouverons pas le climat de l’ère préindustrielle. Les températures en surface resteront à peu près constantes après l’arrêt total des émissions, mais les océans continueront de se réchauffer pendant des siècles, notamment en profondeur. Le dernier paragraphe de l’Axe thématique 8 décrit les différents changements qui continueront d’avoir lieu, même avec des températures stabilisées : « Les processus liés à l’évolution de la végétation, à la transformation des inlandsis, au réchauffement des couches profondes des océans, à l’élévation concomitante du niveau de la mer et aux rétroactions éventuelles liant par exemple les océans et les inlandsis possèdent leurs propres échelles temporelles longues. L’acidification des océans va très probablement se poursuivre à l’avenir tant que les océans continueront d’absorber le CO2 atmosphérique. L’évolution engagée du cycle du carbone des écosystèmes terrestres va se poursuivre au-delà de la fin du XXIe siècle. Il est quasiment certain que l’élévation du niveau moyen de la mer à l’échelle du globe va se poursuivre au-delà de 2100, l’élévation due à l’expansion thermique devant continuer pendant des siècles voire des millénaires. »

Toujours dans le rapport du groupe 1, une des FAQ, la 12.3, répond à la question « Comment évoluerait le climat si nous mettions fin aux émissions aujourd’hui? ». Les concentrations changeraient en fonction des caractéristiques des différents composés : celles des aérosols, à courte durée de vie, évolueraient très rapidement ; celle du méthane reviendrait au niveau préindustriel en une cinquantaine d’année, tandis que celle du CO2 diminuerait doucement en raison de l’action des puits naturels, mais ne reviendrait pas au niveau préindustriel. La figure suivante illustre cette FAQ, représentant la réponse de la température à trois scénarios théoriques à partir de 2010, jusqu’en 2150 :

Cinquième rapport d’évaluation du groupe I, FAQ 12.3 , figure 1 illustrant la réponse de la température à trois scénarios distincts

En rouge, les émissions resteraient constantes : la température continuerait d’augmenter. En gris, c’est « l’inertie à composition constante », avec des concentrations et un forçage radiatif constants, similaire aux simulations des rapports précédents, provoquant une légère augmentation de la température due à l’inertie thermique des océans. Enfin, la courbe bleue représente un arrêt complet des émissions anthropiques. En raison de la disparition rapide des aérosols, qui ont un effet refroidissant, la température augmenterait subitement de quelques dixièmes de degrés, avant de baisser en raison de l’élimination du méthane, puis de se stabiliser à long terme : « Ramener toutes les émissions à zéro conduirait donc, après un bref réchauffement, à une quasi-stabilisation du climat pendant de nombreux siècles. C’est ce que l’on appelle l’inertie des émissions passées (ou inertie pour des émissions nulles). La concentration des gaz à effet de serre diminuerait et, partant, il en irait de même pour le forçage radiatif, mais l’inertie du système climatique retarderait la réponse de la température ». Cela signifie que sans l’inertie thermique des océans, la température continuerait de baisser, au lieu de se stabiliser sur le long terme. Cette stabilisation est le résultat d’un équilibre entre l’effet « réchauffant » de l’inertie thermique des océans d’un côté [33], et de l’effet « refroidissant » de la baisse de la concentration en CO2 de l’autre, par l’action des puits naturels, océaniques et terrestres [34]

On peut donc distinguer trois formes d’inerties climatiques distinctes, à trois types de situations différentes : avec des émissions (flux) constantes, avec des concentrations (stock) constantes, et, enfin, avec des émissions nulles. Le chapitre 12 du groupe I est dédié à ce sujet [35], précisément la partie 12.5.2 « Climate change commitment ». Deux figures, accolées ci-dessous, présentent des simulations à long terme (jusqu’en l’an 3000) en fonction des scénarios RCP [36]. La première, à gauche, présente l’élévation de température (b) pour des concentrations stabilisées après l’année 2300 (certains scénarios ayant une concentration constante avant cette date), cohérente avec les travaux présentés dans les précédents rapports. La seconde, à droite, montre l’effet d’une mise à zéro des émissions de CO2 en 2300 sur les concentrations (b), la température (c) et l’élévation du niveau des mers due à la dilatation thermique (d). 

Cinquième rapport d’évaluation du groupe I, chapitre 12, figures 12.43 et 12.44

La différence entre l’inertie à composition (ou concentration) constante, à gauche, et pour des émissions de CO2 nulles, à droite, est clairement visible : dans ces simulations, sous l’action des puits naturels, la concentration de CO2 baisse (plus ou moins fortement, selon le scénario), et la température diminue, d’abord rapidement, puis plus doucement sur le long terme [37]. Le texte complet du rapport explique qu’en pratique, ce résultat dépendra de plusieurs facteurs : le cumul des émissions de CO2 passées (on le voit sur la figure, la réaction n’est pas tout-à-fait la même en fonction des scénarios), la sensibilité climatique (visible au large spectre de valeurs possibles) mais, aussi, des forçages autres que le CO2. 

2015 : Accord de Paris, neutralité carbone, 1,5 °C

Le cinquième rapport d’évaluation du GIEC a permis aux membres de la CCNUCC d’avoir la synthèse des dernières connaissances sur climat, en vue d’élaborer un nouveau traité devant prendre le relais du protocole de Kyoto. Ce sera chose faite avec la signature, en décembre 2015, de l’Accord de Paris [38]. Suite à des négociations intenses entre plusieurs groupes de pays, en particulier grâce à la pression des petits États insulaires menacés par la montée des eaux [39], il est même mentionné le chiffre de +1,5 °C dans l’objectif principal (« nettement en dessous de 2 °C », « poursuivant l’action menée pour limiter […] à 1,5 °C »). Dans le premier paragraphe de l’article 4, l’Accord indique également la marche à suivre : les pays doivent « parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais » [40], puis baisser leurs émissions jusqu’à parvenir « à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre ». Cet équilibre est également appelé neutralité carbone, ou neutralité climatique [41]

La gouvernance climatique et la recherche scientifique ont ainsi progressé conjointement, l’une influençant l’autre, et inversement (on notera d’ailleurs le rôle important des promesses technologiques [42]). Les nouveaux objectifs climatiques globaux de l’Accord de Paris donnent à la recherche scientifique de nouvelles orientations : tout d’abord, les chercheur.es ont la surprise de devoir étudier plus en détails les conséquences et les trajectoires d’un réchauffement de +1,5 °C, suite à la commande faite au GIEC par les États d’un rapport spécial sur le sujet [43]. Auparavant, peu de travaux étudiaient les trajectoires ou les impacts d’un tel niveau de réchauffement. 

2018, rapport spécial 1.5 : trajectoires à +1,5 °C, inerties des différents forçages

Le rapport spécial sur un réchauffement planétaire de 1,5 °C et les trajectoires pour y parvenir a été publié à l’automne 2018. Le point A.2.2 du Résumé affirme que l’atteinte de la neutralité carbone, combinée à la réduction des autres forçages, mettrait « un terme au réchauffement planétaire anthropique sur des échelles de temps multidécennales ». Les nombreux travaux sur l’inertie climatique et les centaines de scénarios étudiés ont permis aux auteurs du rapport de présenter une conclusion forte : pour limiter la hausse des températures à +1,5 °C, les émissions de CO2 anthropiques doivent diminuer d’environ -40% en 2030 par rapport au niveau de 2010, et devenir nulles en 2050 (-25% en 2030 et nulles en 2070 pour +2 °C) puis négatives, tandis que les émissions autres que le CO2 sont également fortement réduites [44].

Avec l’avènement des objectifs de température et grâce aux avancées de la recherche sur la réaction du climat, les budgets carbone deviennent une donnée importante, à la fois pour la recherche et pour la gouvernance climatique. C’est un ancien concept, qui établit la quantité de CO2 que l’on peut émettre pour limiter le réchauffement à un seuil donné [45]. Le rapport met ainsi en avant des estimations de budgets pour +1,5 °C dans le Résumé, et pour d’autres seuils, notamment +2 °C, dans le rapport complet [46]. Ces budgets sont cependant soumis à des incertitudes non négligeables, en particulier lorsque l’on se rapproche de l’objectif visé, ce qui impacte leur utilisation dans l’établissement de politiques climatiques [47].

Le Résumé du rapport confirme l’inertie du réchauffement déjà effectué et ses conséquences, et indique qu’un réchauffement supplémentaire dû aux émissions passées (gaz à effet de serre et aérosols) de plus de 0,5 °C est « improbable » à court et moyen terme [48]. La question de l’inertie et du réchauffement « engagé » devient d’autant plus importante que l’objectif de +1,5 °C est proche : le rapport mentionne +1 °C de réchauffement déjà effectué, et un dépassement de cet objectif entre 2030 et 2052, si les tendances de hausse de température de l’époque sont prolongées. 

Afin de s’y retrouver, le glossaire du rapport précise les différentes formes d’inerties liées au changement climatique. On retrouve les trois inerties géophysiques mentionnées précédemment, qui décrivent la réaction du système climatique, ainsi que deux inerties sociétales, l’une pour le scénario « réalisable » le plus bas en émissions [49], l’autre pour un scénario comprenant l’inertie des infrastructures émettrices existantes : 

Rapport Spécial sur un réchauffement planétaire de +1,5 °C, glossaire français

L’inertie climatique est détaillée au chapitre 1, dans la partie 1.2.4 « Geophysical Warming Commitment ». Cette section mentionne le fait qu’il y a une idée reçue au sujet de l’inertie, assez répandue notamment dans la vulgarisation scientifique sur le changement climatique [50]

« L’inertie pour une composition constante (ICC) est principalement associée à l’inertie thermique de l’océan (Hansen et al., 2005), et a conduit à l’idée fausse qu’un réchauffement futur substantiel est inévitable (Matthews et Solomon, 2013). L’ICC prend en compte le réchauffement dû aux émissions passées, mais inclut également le réchauffement dû aux émissions futures (en baisse mais toujours non nulles) qui sont nécessaires pour maintenir une composition atmosphérique constante. Elle n’est donc pas pertinente pour l’engagement de réchauffement dû aux seules émissions passées. »

Une partie des assertions [51], régulièrement entendues, sur le « réchauffement futur engagé dû aux émissions passées » vient de cela, leurs auteurs confondant inertie pour une composition constante et inertie pour des émissions nulles. Le rapport explique qu’il y a une « séparation claire » de la réponse climatique entre les émissions passées, et les émissions futures, et que la réponse pour des émissions nulles dépend du mix de gaz à effet de serre et d’aérosols considéré. La figure 1.5 illustre cela, avec les réponses de la température pour différentes combinaisons d’arrêt des émissions en 2020 : 

Rapport Spécial 1.5, chapitre 1, figure 1.5, « Warming commitment from past emissions of greenhouse gases and aerosols »

La courbe orange correspond à un arrêt complet des émissions de gaz à effet de serre et aérosols. Elle est proche de celle que l’on pouvait observer dans la FAQ 12.3 du rapport d’évaluation précédent, avec un léger pic de température de quelques dixièmes de degrés dû à la disparition des aérosols (qui ont, globalement, un effet refroidissant), suivi d’une baisse substantielle due à la baisse de la concentration de méthane, puis une stabilisation à long terme « gérée » par l’équilibre entre l’inertie thermique des océans et la baisse de la concentration de CO2 par les puits naturels. Les courbes restantes représentent différentes options d’arrêt de certains forçages, tandis que les autres sont maintenus : du seul CO2 en bleu en trait plein, des gaz à effet de serre en rose, du CO2 et des aérosols en vert, tandis que les traits bleus en pointillés indiquent une poursuite constante des émissions et un arrêt progressif des émissions de CO2 sur cinquante ans. 

2021, rapport du groupe I : Zero Emissions Commitment, divergence entre scénarios, atteinte des seuils de température

Dans le cadre du sixième cycle d’évaluation, le groupe I du GIEC a rendu son rapport en août 2021 [52]. Les rapports des deux autres groupes de travail seront publiés au printemps 2022, et le rapport de synthèse, à l’automne 2022. Cette immense somme de travail synthétisant les dernières connaissances sur le changement climatique servira à éclairer et orienter la gouvernance climatique, en particulier le bilan mondial des émissions prévu pour 2023, dans le cadre de l’Accord de Paris [53]

Sans surprise, le Résumé pour les décideurs réaffirme les conclusions des rapports précédents [54] : « Du point de vue des sciences physiques, pour limiter le réchauffement climatique d’origine humaine à un niveau donné, il faut limiter les émissions cumulées de CO2, pour atteindre au moins des émissions nettes de CO2 nulles, et réduire fortement les émissions d’autres gaz à effet de serre ».  

Ces conclusions ont été renforcées par les résultats d’une comparaison des modèles de l’inertie pour des émissions nulles de CO2, résumés dans la section 4.7.1.1 « Climate change following zero emissions » du chapitre 4 [55][56]. Les différents modèles ont simulé des émissions progressives – +1% par an – de CO2 de 1000 PgC (représentant environ +1,65 °C de réchauffement [57]), avant un arrêt complet des émissions. Les résultats sont représentés dans la figure ci-dessous, avec les simulations individuelles en gris et la moyenne en noir, la concentration de CO2 à gauche, la température à droite : 

Sixième rapport d’évaluation du groupe I, chapitre 4, figure 39

Les modèles divergent légèrement au niveau de la réponse de la température à l’échelle d’une centaine d’années. Le rapport explique que l’inertie pour des émissions nulles de CO2 devrait faire moins de 0,3 °C, mais que cela peut être aussi bien en positif qu’en négatif. Dans tous les cas, ce n’est pas significatif par rapport à la variabilité naturelle du climat, au niveau de la température mondiale. 

Inertie des sociétés 

Nous savons donc que, à quelques subtilités et incertitudes près mentionnées précédemment, l’arrêt des émissions, que ce soit du seul CO2 ou de l’ensemble des forçages, permettrait de stabiliser la température globale de surface. Cependant, il est, hélas, compliqué de passer d’un seul coup de plusieurs dizaines de milliards de tonnes d’émissions annuelles à zéro, en raison de l’inertie des systèmes socio-économiques [58]. Par exemple, un certain nombre d’infrastructures existantes devront être arrêtées avant la fin de leur durée de vie « normale » si l’on souhaite maintenir le réchauffement à +1,5 °C [59]. Dans cette dernière partie, nous allons observer comment cette inertie sociétale, sur laquelle il y aurait beaucoup à dire, est représentée dans les projections climatiques [60]

Pour étudier les différents futurs climatiques potentiels, les chercheur.es ont besoin de données d’entrées pour leurs modèles, c’est-à-dire de trajectoires d’évolution des forçages : émissions de gaz à effet de serre, d’aérosols, changements d’usages des terres, etc. C’est dans ce but que sont créés les scénarios climatiques, qui tentent de couvrir l’ensemble des possibles sociétaux, des trajectoires les plus radicales en termes de baisse des émissions, aux plus émettrices [61]. Dans le dernier rapport du groupe 1 du GIEC, ce sont les scénarios SSP qui sont utilisés [62], et plus précisément cinq scénarios illustratifs pris dans chaque famille SSP (qui en comportent des dizaines) [63] : un scénario maintenant le réchauffement légèrement en dessous de +1,5 °C (SSP1-1.9), un autour de +2 °C (SSP1-2.6), un scénario intermédiaire (SSP2-4.5, d’estimation centrale +2,7 °C [64]), et deux scénarios « de référence », c’est-à-dire sans politiques climatiques (SSP3-7.0 et SSP5-8.5, pour respectivement, +3,6 °C et +4,4 °C d’estimations centrales en fin de siècle). 

Le Résumé pour les décideurs décrit, à propos l’évolution future du climat [65] : « Les scénarios d’émissions de GES très faibles ou faibles (SSP1-1.9 et SSP1-2.6) entraînent en quelques années des effets perceptibles sur les concentrations de gaz à effet de serre et d’aérosols, ainsi que sur la qualité de l’air, par rapport aux scénarios d’émissions de GES élevées et très élevées (SSP3-7.0 ou SSP5-8.5). Dans ces scénarios contrastés, des différences perceptibles dans les tendances de la température de la surface du globe commenceraient à se dégager de la variabilité naturelle dans un délai d’environ 20 ans, et sur des périodes plus longues pour de nombreux autres facteurs d’impact climatique (confiance élevée) ».

Deux FAQ développent ces points [66]. La première, la 4.1, résume les évolutions du climat attendues pour les 20 prochaines années. Comme les émissions ne vont pas tomber à zéro demain matin, les tendances actuelles (augmentation de la température, modification des caractéristiques des événements extrêmes, diminution de la cryosphère, etc.) vont se poursuivre durant ces deux décennies, et la modulation de ces tendances par la variabilité naturelle du climat sera plus forte que l’effet direct des différents scénarios. Ceux-ci envisagent tous une poursuite des émissions durant cette période, bien que les trajectoires soient distinctes dès leur début (2015 pour les SSP), certaines en forte augmentation, d’autres en forte baisse (le scénario le plus bas, le SSP1-1.9, prévoit l’atteinte de la neutralité carbone un peu après 2050). La figure de la FAQ présente le domaine des possibles climatiques sous forme d’un ensemble de « spaghettis ». Chacun d’entre eux représente un état possible futur en tenant compte de la variabilité naturelle du climat durant cette période, pour la température mondiale et la superficie de la mer de glace Arctique, en fonction de deux scénarios SSP : 

Sixième rapport d’évaluation du groupe I, FAQ 4.1, figure 1

Durant cette période, la dispersion des simulations, représentant la variabilité du climat, est ainsi plus élevée que la différence entre les scénarios. La FAQ suivante, la 4.2, répond à la question « À quelle échéance verrions-nous les effets de la réduction des émissions de dioxyde de carbone ? ». La réponse résumée : « Les effets d’une réduction substantielle des émissions de dioxyde de carbone ne seraient pas immédiatement visibles, et le temps nécessaire pour les détecter dépendrait de l’ampleur et du rythme des réductions d’émissions. Dans le cadre des scénarios de réduction des émissions envisagés dans le présent rapport, l’augmentation des concentrations de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ralentirait visiblement après environ cinq à dix ans, tandis que le ralentissement du réchauffement de la surface de la planète serait détectable après environ vingt à trente ans. Les effets sur les tendances des précipitations régionales ne seraient visibles qu’après plusieurs décennies » [67]

Avant même de parler de stabilisation de la température, c’est donc la détection d’un changement de vitesse du réchauffement que l’on observerait en premier, en réponse à la baisse  des émissions et au fait que l’augmentation de la concentration ralentit également. Une figure accompagne la FAQ, qui présente les caractéristiques de la divergence entre deux scénarios distincts pour le CO2, le SSP1-2.6 et le SSP3-7.0. Les trajectoires d’émissions divergent dès le début des scénarios, en 2015 : 

Sixième rapport d’évaluation du groupe I, FAQ 4.2, figure 1, top, représentant les trajectoires d’émissions de CO2 de deux scénarios SSP

Dans le scénario « low », on commence à fermer, doucement d’abord, le robinet de CO2. Mais il y a encore des émissions pendant des décennies, avant d’atteindre la neutralité carbone. L’effet sur la concentration devient visible après 5 à 10 ans. Dans le scénario SSP1-2.6, la concentration s’infléchit à la baisse à partir du moment où les émissions deviennent négatives, aux alentours de 2080 : 

Sixième rapport d’évaluation du groupe I, FAQ 4.2, figure 1, middle, représentant l’évolution de la concentration en fonction de deux scénarios SSP

Au niveau de la température, la variabilité naturelle (représentée ci-dessous par les lignes fines, issues d’une dizaine de simulations aux conditions initiales différentes pour chaque scénario) donne cet aspect irrégulier à la courbe moyenne, et la divergence (définie comme la non-superposition des domaines des possibles climatiques incluant la variabilité naturelle) ne devient discernable qu’aux alentours de 2040 : 

Sixième rapport d’évaluation du groupe I, FAQ 4.2, figure 1, bottom, représentant l’évolution de la température en fonction de deux scénarios SSP

Une autre figure, provenant du Résumé technique [68], présente des résultats similaires, avec un zoom sur le moyen terme, et un scénario supplémentaire et intermédiaire, le SSP2-4.5. La divergence des estimations centrales de température débute vers la fin de la décennie 2020 : 

Sixième rapport d’évaluation du groupe I, résumé technique, Cross-Section Box TS.1, Figure 1

Deux raisons expliquent le « délais » de 20 à 30 ans dans la détection d’une différence mesurable et significative de température entre des trajectoires opposées :
– Les trajectoires étudiées et leurs postulats (l’effet serait plus visible en comparant des trajectoires encore plus divergentes, comme le SSP1-1.9 et le SSP5-8.5 [69]), notamment l’effort de réduction consenti dans le scénario « bas » et le moment où il atteint la neutralité carbone,
– La variabilité naturelle du climat, qui masque la détection de la réponse de la température.

Il ne s’agit donc pas d’une « inertie climatique » à proprement parler, mais bien d’une inertie sociétale : précisément, du temps nécessaire pour parvenir à la neutralité carbone, à partir du moment où l’on commence à mettre en place des mesures d’atténuation. L’exemple de la crise du Covid-19 permet de comprendre la complexité de l’exercice : les émissions de CO2 ont baissé d’un peu plus de 5% en 2020, ce qui veut dire que l’on a réduit l’apport de CO2 de 5% par rapport à l’année précédente [70]. Mais nous continuons d’émettre, donc d’injecter du CO2, dans le stock. In fine, en raison de la réaction des puits naturels et des incertitudes autour des mesures, il semblerait que cette réduction n’ait pas eu d’impact substantiel sur la trajectoire de la concentration en CO2 atmosphérique, qui a continué d’augmenter en 2020 [71]. Pour pouvoir observer un résultat sur celle-ci, il faudrait maintenir des efforts d’un ordre de grandeur similaire (plusieurs pourcents de baisse par an, à échelle mondiale) pendant des années, jusqu’à l’atteinte de la neutralité carbone. 

Seuils et incertitudes

L’un des nouveaux éléments présentés par le rapport d’août 2021 concerne l’atteinte du seuil de +1,5 °C [72]. D’après les conclusions des chercheur.es, il y a des chances que ce seuil, calculé sur une moyenne sur vingt années, soit dépassé au début des années 2030 [73] et ce, quel que soit le scénario SSP étudié, y compris ceux de fortes réductions des émissions [74]. C’est environ 10 ans plus tôt que dans l’estimation centrale du Rapport spécial 1.5 [75]. La différence est due à la méthodologie de calcul : le rapport spécial étudiait une « simple » prolongation des tendances de l’époque, tandis que le rapport du groupe I étudie les trajectoires de chaque scénario [76]. Comme on peut le voir ci-dessous [77], même le scénario SSP1-1.9 dépasse temporairement le seuil de +1,5 °C au milieu du siècle [78], avant de redescendre en-dessous en fin de siècle (en partie, grâce au déploiement à grande échelle d’émissions négatives [79]) :   

Sixième rapport d’évaluation du groupe I, résumé technique, Cross-Section Box TS.1, Figure 1

D’autres trajectoires pour limiter le réchauffement à +1,5 °C ou +2 °C sont possibles, pour certaines, sans dépassement du seuil ou avec un dépassement limité [80]. Toutes nécessitent cependant des mesures et changements immédiats et radicaux et, pour le moment, nous n’en prenons pas la route [81]. La figure précédente représente les projections finales de l’ensemble des modèles du CMIP6, évalués par le GIEC [82]. Le rapport complet indique que la plage d’incertitude, tous scénarios compris (elle est indiquée sur la figure, par les plages de couleurs bleue et rouge, pour les scénarios SSP1-2.6 et SSP3-7.0), va de +1,0 °C à +5,7 °C pour la période 2081-2100, par rapport à l’ère préindustrielle [83]. Cette incertitude est composée de trois incertitudes distinctes, analysées dans une étude qui les comparait aux projections du rapport d’évaluation précédent [84]. Il y a l’incertitude irréductible due à la variabilité interne du climat, imprévisible au-delà de quelques années (en orange ci-dessous, figure provenant de l’étude). Cette incertitude, dite « stochastique », est importante à court et moyen terme. Il y a, ensuite, l’incertitude, dite « épistémique », due aux modèles (en bleu), qui représentent  de manières différentes les processus climatiques et, en particulier, les rétroactions climatiques qui conditionnent en grande partie la réponse totale du système climatique à des perturbations d’énergie. Enfin, à long terme, l’incertitude principale, dite « réflexive », est due aux scénarios (en vert), c’est-à-dire aux choix sociétaux actuels et futurs :    

Lehner et al., 2020, Partitioning climate projection uncertainty with multiple large ensembles and CMIP5/6

Conclusion

Le climat est bel et bien un système complexe, avec une forte inertie : les modifications des forçages ont des conséquences sur des siècles, voire des millénaires, en particulier pour les composantes lentes du système Terre (océan, cryosphère, etc.). La partie B.5 du Résumé du dernier rapport du groupe I synthétise les connaissances récentes sur l’irréversibilité de certains phénomènes, dont l’ampleur et la vitesse des changements dépendra des émissions futures. Ces changements concernent essentiellement les océans, qui vont continuer de se réchauffer et s’acidifier, les glaciers, qui vont continuer de fondre, et le niveau de la mer, qui va continuer de s’élever pendant des siècles. 

Au niveau de la température globale de surface, le titre de la figure 4 du Résumé du rapport du groupe I, qui présente les contributions des différents forçages au réchauffement, résume tout : « Les émissions futures provoquent un réchauffement supplémentaire futur, le réchauffement total étant dominé par les émissions passées et futures de CO₂ » [85]. Et il y aura des émissions futures, car il n’est pas possible d’atteindre la neutralité carbone à échelle mondiale demain matin : le climat va donc continuer à chauffer, jusqu’à l’atteinte de celle-ci. Il s’agit bien d’une inertie des sociétés, bien qu’une certaine marge d’incertitude demeure quant à l’ampleur du réchauffement. Le futur n’est cependant pas écrit : personne ne sait ce qu’il pourra advenir [86], et il reste énormément à faire pour continuer d’infléchir la trajectoire des émissions. Ce qui est sûr, c’est que tout se joue maintenant, et non dans 10 ou 20 ans : la distinction entre les scénarios au niveau des émissions a déjà commencé. Afin de faire comprendre la part sociétale de la réaction du climat, il serait peut-être intéressant d’intégrer des scénarios « zéro émissions » dans les projections, afin de les comparer aux autres scénarios. C’est ce qu’avait fait la Banque mondiale en 2012, dans un rapport explorant des scénarios socioéconomiques, des scénarios de projection des politiques climatiques de l’époque, des scénarios d’atténuation illustratifs et un scénario d’arrêt des émissions [87]

Banque Mondiale, Turn Down the Heat: Why a 4°C Warmer World Must Be Avoided, 2012, figure 22

Cet article est assez dense et long, notamment en raison de la rétrospective sur les précédents rapports du GIEC, et de la mise en contexte avec la gouvernance climatique. Celles-ci étaient nécessaires. Tout d’abord, parce qu’elles sont intrinsèquement liées, la définition des objectifs climatiques dépendant, on l’a bien vu, des caractéristiques du climat et de ses différentes réponses. Mais aussi parce qu’il est important de comprendre comment la science et la politique interagissent dans le cadre d’un problème comme le changement climatique. La science éclaire la décision politique, qui elle-même se fait en fonction des nombreux autres déterminants, puis les décisions politiques influent la science, qui va orienter ses recherches dans une direction particulière, plutôt qu’une autre [88].  

Il est également intéressant, d’un point de vue épistémologique, d’observer l’évolution des connaissances au fil des rapports. D’un côté, les connaissances scientifiques sur le changement climatique étaient bien moins affirmatives et robustes il y a 20 ou 30 ans que ce que l’on lit et entend régulièrement, avec des commentaires de type « on savait déjà » [89]. Dans le même temps, il est assez incroyable de voir que ces connaissances n’ont, depuis, pas été remises en question : on ne savait peut-être pas tout, loin de là (et il y a, encore aujourd’hui, de nombreuses incertitudes), mais on savait déjà beaucoup de choses, qui ont été confirmées et détaillées par la suite, au gré des très nombreuses publications scientifiques et des rapports du GIEC. On le voit au fil de l’article : chaque nouveau rapport réaffirme la plupart des conclusions principales précédentes, en les enrichissant. 

Du côté de la vulgarisation scientifique, nous pouvons cependant déplorer le fait que les connaissances aient du mal à être correctement transmises. L’inertie du climat est quelque chose d’assez mal connu et compris, et, par conséquent, parfois assez mal expliqué (voire, de manière fausse et répétée, par certains vulgarisateurs bien connus [90]). L’évolution depuis l’inertie à concentration constante vers l’inertie pour des émissions nulles en est, probablement, en partie responsable. La complexité des ensembles de scénarios, de leurs postulats et des projections climatiques, également. La vulgarisation scientifique pêche parfois par excès de confiance, et se retrouve à citer comme sources d’autres vulgarisateurs scientifiques, ce qui peut créer un effet de téléphone arabe au cours duquel les connaissances établies par le GIEC peuvent se retrouver distordues ou exagérées, voire, complètement ignorées. Un conseil à celles et ceux qui se renseignent sur ces sujets, ou qui travaillent et communiquent dessus : remontez toujours à la source, et si ce n’est pas le GIEC lui-même, vérifiez ce qu’il mentionne dans ses derniers rapports sur le sujet que vous étudiez. Sur l’inertie climatique, il est important d’être clair : il ne s’agit pas d’un détail qui n’intéresse que quelques climatologues spécialistes, puisque cela concerne la gestion du problème climatique de la manière la plus globale qui soit, avec la définition des objectifs climatiques de long terme et des trajectoires pour les atteindre. Mais surtout, selon comment on présente ces connaissances, cela change la façon dont elles seront perçues par le public. Si « l’inertie » est sociétale, et le GIEC l’expliquait dès sont troisième rapport, nous avons autrement plus de prise dessus que si elle est géophysique [91]

Un grand merci à Camille Guittonneau, Rodolphe Meyer, Christophe Cassou et Samuel Morin pour leurs relectures et corrections attentives. 

Notes, sources et références

Introduction

[1] Défini par le groupe II du GIEC, AR5 WGII SPM, figure RID.1 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/WGIIAR5-IntegrationBrochure_fr-1.pdf

Notions climatiques et résumé des connaissances actuelles

[2] Global Carbon Project 2021, slide 45 : https://www.globalcarbonproject.org/carbonbudget/21/files/GCP_CarbonBudget_2021.pdf
Atmosphère 48%, végétation 29%, océans 26%
[3] AR5 WGI FAQ 6.2 « Que devient le dioxyde de carbone après son rejet dans l’atmosphère? » : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/WG1AR5_SummaryVolume_FINAL_FRENCH.pdf
[4] Modifications qui peuvent être anthropiques (changements d’usages des sols) et de rétroactions (positives, mais aussi négatives), en particulier celles des nuages et de la fonte de la cryosphère. Voir la figure SPM.2 du rapport du groupe I pour les différents facteurs de changement du forçage : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_SPM_final.pdf
[5] AR4, chapitre 10, scénario A1B : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/ar4-wg1-chapter10-1.pdf
[6] Voir « La machine climatique », article de vulgarisation sur l’Encyclopédie de l’environnment: https://www.encyclopedie-environnement.org/climat/la-machine-climatique/
[7] Voir les figures SPM.2 et SPM.4 du rapport du groupe I, AR6 : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_SPM_final.pdf
[8] NB : les conséquences des émissions négatives nécessaires pour être à la neutralité carbone (usages des sols, énergie, ressources) pouvant être conséquentes sur d’autres éléments, écosystèmes, sociétés.

1990, 1992 : premier rapport du GIEC et mise en place de la gouvernance climatique

[9] Pour plus de détails sur le GIEC, voir la vidéo du Réveilleur « Comprendre le GIEC et ses rapports » : https://www.youtube.com/watch?v=C_UTlTiVQ_0
[10] https://www.ipcc.ch/report/ar1/syr/
[11] Voir « Qu’est-ce que la CCNUCC ? » : https://unfccc.int/fr/processus-et-reunions/la-convention/qu-est-ce-que-la-ccnucc-la-convention-cadre-des-nations-unies-sur-les-changements-climatiques
[12] [Nous soulignons] Texte complet de la Convention : https://unfccc.int/files/cooperation_and_support/cooperation_with_international_organizations/application/pdf/convfr.pdf
[13] « Gouverner le climat: 20 ans de négociations internationales », Amy Dahan, Stefan Aykut, 2015 : https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100821210
[14] Voir la Box 3, FAR, WGI, TS : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/07/WG1_TAR_TS.pdf
Et AR4 WGI Chapter 1, figure 1.2, part 1.5 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/ar4-wg1-chapter1.pdf

1995, 2001 : inerties des composantes du système climatique, stabilisation des concentrations et baisse des émissions

[15] Global Carbon Project, 23% pour les océans et 31% pour la végétation des émissions de CO2 anthropiques sur la période 2010-2019 sont absorbées, le reste s’accumulant dans l’atmosphère : https://www.globalcarbonproject.org/carbonbudget/20/files/GCP_CarbonBudget_2020.pdf
[16] Les puits naturels, et plus largement le cycle du carbone, sont autrement « à l’équilibre » ; les puits se mettent à capturer parce qu’il y a une perturbation anthropique.
[17] IPCC SAR, Page 10 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/05/2nd-assessment-fr.pdf
[18] « Overall, these targets add up to an average 5 per cent emission reduction compared to 1990 levels over the five year period 2008–2012 (the first commitment period). » https://unfccc.int/kyoto_protocol
[19] Q5 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/08/TAR_syrfull_fr.pdf
[20] Rapport spécial du GIEC sur les scénarios d’émissions, scénarios sans politiques climatiques avec différents postulats socio-économiques, utilisés dans le troisième et le quatrième rapports d’évaluation : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/sres-fr-1.pdf
Ce sont à proprement parler les derniers « scénarios du GIEC », les scénarios suivants, RCP et SSP, sont élaborés par la communauté scientifique.
[21] IPCC TAR WGI : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/wg1sumfrench.pdf

2007, quatrième rapport : changements climatiques « engagés » et « inertiels »

[22] https://www.nature.com/articles/s41558-019-0684-5
[23] AR4, WGI, SPM Encart RT.9 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2020/02/ar4-wg1-sum-vol-fr.pdf
[24] Température relative à la période 1980-1999.
[25] Extrait du glossaire de l’AR4 WGI, « inertie du changement climatique ».
[26] Voir le chapitre 1 du rapport du groupe I : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/ar4-wg1-chapter1.pdf
[27] Le chapitre complet (10.7.2 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/ar4-wg1-chapter10-1.pdf) mentionne une autre étude, Friedlingstein&Solomon, 2005, qui projette un réchauffement engagé de quelques décennies après un arrêt des émissions de CO2, puis une baisse progressive : https://www.pnas.org/content/102/31/10832
[28] L’un des premiers travaux présentants des simulations pour ces différents types de situations est celui de Hare&Meinshausen, « How Much Warming are We Committed to and How Much can be Avoided? », 2006 (voir la figure 1) : https://link.springer.com/article/10.1007/s10584-005-9027-9
La partie 2.3 précise : « Hence, a geophysical warming commitment is primarily of interest when compared to ‘feasible scenario’ commitments. In this way, one can distinguish between the geophysical and socio-economic inertia components of a long-term future warming commitment. »
[29] Pour celles et ceux qui souhaitent entrer dans le détail, une FAQ présentait l’effet de la réduction des émissions de gaz à effet de serre sur la concentration, en fonction des caractéristiques des différents agents de forçage, la 10.3, « Si les émissions de gaz à effet de serre diminuaient, à quel rythme la concentration de ces gaz dans l’atmosphère décroîtrait-elle ? » : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2020/02/ar4-wg1-sum-vol-fr.pdf
[30] Pour plus de détails sur l’origine, mêlant politique et science, du chiffre de +2 °C, voir « Gouverner le climat ? » d’Amy Dahan et Stefan Aykut.

2013, cinquième rapport : différentes inerties, arrêt des émissions, budgets carbone, réactions à long terme

[31] https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/WG1AR5_SummaryVolume_FINAL_FRENCH.pdf
[32] L’encadré complet permet d’avoir une bonne compréhension du rôle des connaissances sur l’inertie climatique dans la définition des objectifs climatiques et, in fine, dans la gouvernance climatique.
[33] Dans le détail, il ne s’agit pas d’un relâchement de chaleur par les océans, mais du fait qu’ils absorbent moins d’énergie (ocean heat uptake) en réaction à la baisse du forçage radiatif.
[34] Pour plus de détails, voir la FAQ complète, ainsi que la FAQ 6.2 « Que devient le dioxyde de carbone après son rejet dans l’atmosphère? » : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/WG1AR5_SummaryVolume_FINAL_FRENCH.pdf
[35] « Long-term Climate Change: Projections, Commitments and Irreversibility » : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/WG1AR5_Chapter12_FINAL.pdf
[36] Representative Concentration Pathways, scénarios de concentrations et forçages radiatifs utilisés dans le cinquième rapport d’évaluation. Ces scénarios, établis jusqu’à 2100, ont été « rallongés » jusqu’à 2300 (ECP, Extended Concentration Pathways), et ici simplement prolongés à concentrations constantes jusqu’en l’an 3000 pour étudier la réaction potentielle du climat.
[37] Ces simulations sont effectuées avec des EMIC (Earth systems model of intermediate complexity, moins complexes que les ESM, qui permettent de faire de nombreuses simulations et/ou sur le temps long). La légère baisse semble être un biais, voir : https://bg.copernicus.org/articles/17/2987/2020/

2015 : Accord de Paris, neutralité carbone, 1,5 °C

[38] Texte complet : https://unfccc.int/sites/default/files/french_paris_agreement.pdf
[39] « A brief history of the 1.5C target » : https://www.climatechangenews.com/2015/12/10/a-brief-history-of-the-1-5c-target/
[40] NB : La suite étant non moins importante, « étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement Parties ».
[41] La France appelle « neutralité carbone » une neutralité pour tous les gaz à effet de serre ; en pratique il faut toujours faire attention si les objectifs de neutralité concernant tous les gaz à effet de serre ou seulement le CO2, à quelle échéance, et pour quel niveau de capture. Voir : https://www.nature.com/articles/d41586-021-00662-3
Egalement, sur ce sujet : https://www.realclimate.org/index.php/archives/2021/11/net-zero-not-zero/
[42] « Guest post: A brief history of climate targets and technological promises » : https://www.carbonbrief.org/guest-post-a-brief-history-of-climate-targets-and-technological-promises
[43] « Taking science by surprise: The knowledge politics of the IPCC Special Report on 1.5 degrees » : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1462901119315588

2018, rapport spécial 1.5 : trajectoires à +1,5 °C, inerties des différents forçages

[44] IPCC SR15 SPM C.1 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/SR15_Summary_Volume_french.pdf
[45] « A history of the global carbon budget » : https://wires.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/wcc.636
[46] Table 2.2 p. 108 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/06/SR15_Full_Report_High_Res.pdf
[47] « Opportunities and challenges in using remaining carbon budgets to guide climate policy » : https://www.nature.com/articles/s41561-020-00663-3
[48] IPCC SR15 SPM A.2, A.2.1, A.2.2 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/SR15_Summary_Volume_french.pdf
[49] Cette question est sujette à de nombreux débats, nous y reviendrons dans un autre article.
[50] Traduction personnelle. L’article mentionné de Matthews et Solomon, 2013, déplorait déjà cela à l’époque : https://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.1077.426&rep=rep1&type=pdf
[51] L’autre partie vient de ceux qui confondent l’inertie pour des émissions nulles et l’inertie sociétale des scénarios d’atténuation (c’est-à-dire le temps nécessaire pour arriver à la neutralité carbone et la stabilisation du climat).

2021, rapport du groupe I : Zero Emissions Commitment, divergence entre scénarios, atteinte des seuils de température

[52] IPCC AR6 WGI : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/
[53] Global Stocktake : https://unfccc.int/topics/global-stocktake
[54] D1., traduction personnelle : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_SPM.pdf
[55] Faisant partie du processus d’évaluation des modèles climatiques (CMIP6). Voir l’article présentant les résultats : https://bg.copernicus.org/articles/17/2987/2020/
[56] https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_Chapter_04.pdf
Au passage, la section suivante étudie les projections de long terme (2300) effectuée dans le cadre du CMIP6 pour les scénarios SSP.
[57] 1000 pétagrammes de carbone, ce qui donne entre +1 °C et +2,3 °C de réchauffement, +1,65 °C en meilleure estimation (note de bas de page n°41 du SPM de l’AR6 WGI).

Inertie des sociétés

[58] Celle-ci est traitée depuis longtemps dans les rapports du GIEC, voir par exemple la question 5 du troisième rapport : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/08/TAR_syrfull_fr.pdf
[59] « Committed emissions from existing energy infrastructure jeopardize 1.5 °C climate target »: https://www.nature.com/articles/s41586-019-1364-3
[60] Les déterminants et conséquences de l’inertie sociétale pourraient remplir un article largement aussi long que celui-ci. Pour celles et ceux qui souhaiteraient creuser le sujet, un intéressant article de recherche étudie pourquoi les émissions n’ont pas été infléchies à la baisse au cours des trente dernières années, Stoddard et al., 2021 : https://www.annualreviews.org/doi/full/10.1146/annurev-environ-012220-011104
[61] Du moins, les scénarios exploratoires. D’autres scénarios existent : tendanciels, normatifs, etc.
[62] Voir l’article de Carbon Brief sur les SSP : https://www.carbonbrief.org/explainer-how-shared-socioeconomic-pathways-explore-future-climate-change
A noter que ces scénarios ont des postulats socio-économiques, mais ils ne sont pas développés par les chercheur.es du groupe I (cela concerne plutôt celles et ceux du groupe III), qui ne font que s’en servir comme données d’entrée pour faire des projections climatiques.
[63] Voir la Box SPM.1 : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_SPM.pdf
A noter que bien plus de scénarios pour +1,5 °C et +2 °C existent, aux différentes et nombreuses caractéristiques, présentés dans le Rapport Spécial 1.5.
[64] Plus ou moins similaire à la trajectoire des engagements actuels de court terme des pays dans le cadre de l’Accord de Paris : https://unfccc.int/news/updated-ndc-synthesis-report-worrying-trends-confirmed
Le « very likely » range est cependant de +2,1 °C à +3,5 °C (Table SPM.1 AR6 WGI).
[65] Traduction personnelle.
[66] https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/faqs/IPCC_AR6_WGI_FAQs.pdf
[67] Traduction personnelle.
[68] Cross-Section Box TS.1, Figure 1 : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_TS.pdf
[69] Voir cet article : https://www.nature.com/articles/s41558-020-00957-9
Résumé sur Carbon Brief : https://www.carbonbrief.org/emissions-cuts-in-line-with-paris-agreement-would-see-benefits-within-two-decades
[70] Global Carbon Budget : https://www.globalcarbonproject.org/carbonbudget/21/files/GCP_CarbonBudget_2021.pdf
[71] Global Carbon Project : https://www.globalcarbonproject.org/carbonbudget/index.htm

Seuils et incertitudes

[72] Un objectif climatique et un seuil pas si simples à définir :
– Sur l’objectif : https://www.carbonbrief.org/guest-post-interpreting-paris-agreements-1-point-5-c-temperature-limit
– Sur la période de référence : https://www.carbonbrief.org/challenge-defining-pre-industrial-era
[73] Cross-Section Box TS.1: Global Surface Temperature Change : « In all 4 scenarios assessed here except SSP5-8.5, the central estimate of 20-year averaged global surface warming 5 crossing the 1.5°C level lies in the early 2030s, which is about ten years earlier than the midpoint of the 6 likely range (2030–2052) assessed in the SR1.5. »
Ce serait même encore plus tôt pour le SSP5-8.5.
[74] « more likely than not », B.1.3 : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_SPM_final.pdf
[75] 2030-2052, A.1 ; FAQ 1.2 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/SR15_Summary_Volume_french.pdf
[76] Pour plus de détails sur ces deux méthodologies, voir l’article de Real Climate ; à noter que le détail du chapitre 2 du SR1.5 indiquait, avec la même méthode que l’AR6, un résultat similaire : https://www.realclimate.org/index.php/archives/2021/08/we-are-not-reaching-1-5oc-earlier-than-previously-thought/
Ainsi que l’article de Carbon Brief sur le sujet : https://www.carbonbrief.org/analysis-what-the-new-ipcc-report-says-about-when-world-may-pass-1-5c-and-2c
[77] Cross-Section Box TS.1, Figure 1 : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_TS.pdf
[78] Voir le Rapport Spécial 1.5 sur les notions de dépassements, FAQ 2.1 notamment : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/SR15_Summary_Volume_french.pdf
[79] Voir : https://www.technologyreview.com/2021/08/09/1031450/the-un-climate-report-pins-hopes-on-carbon-removal-technologies-that-barely-exist/
[80] Voir le SR1.5 pour plus de détails : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/SR15_Summary_Volume_french.pdf
[81] Synthèse par Carbon Brief de l’Emissions Gap Report : https://www.carbonbrief.org/unep-current-climate-commitments-are-weak-promises-not-yet-delivered
Et analyse des promesses de la COP26 : https://www.carbonbrief.org/analysis-do-cop26-promises-keep-global-warming-below-2c
[82] Voir : https://www.carbonbrief.org/guest-post-the-role-emulator-models-play-in-climate-change-projections
[83] Table SPM.1 : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WGI_SPM.pdf
[84] Lehner et al., 2020 : https://esd.copernicus.org/articles/11/491/2020/
« Constrained » signifie que les résultats ont été évalués et validés par une ou plusieurs méthodes, modifiant les résultats « bruts » des modèles. Le GIEC a lui aussi évalué et « contraint » les résultats, par diverses méthodes, afin d’obtenir les projections « finales » de la figure précédente.

Conclusion

[85] Il est d’ailleurs intéressant de voir les débats qu’a occasionné ce titre lors de la session d’approbation du rapport : https://enb.iisd.org/climate/IPCC/IPCC-54-WGI-14/summary
[86] Quelques travaux tentent d’évaluer la probabilité des trajectoires : https://www.cliccs.uni-hamburg.de/results/hamburg-climate-futures-outlook.html
[87] Figure 22., p.24 : https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/11860
[88] Par exemple : https://www.carbonbrief.org/scientists-new-focus-1-5c-reshaping-climate-research
[89] Voir notamment la critique de Sylvestre Huet du livre de Nathaniel Rich, « Perdre la Terre » : https://www.lemonde.fr/blog/huet/2019/05/13/perdre-la-terre-re-ecrire-lhistoire-du-climat/
[90] Voir de 17min15 à 18min55 : https://youtu.be/3GyOYNwk5AM?t=1034
[91] « Contrairement aux systèmes climatiques et écologiques, l’inertie au sein des systèmes humains n’est pas fixe, mais peut être modifiée par des politiques et par des choix individuels » (p. 19 : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/08/TAR_syrfull_fr.pdf)